Document de travail n°692 : Quand l’activité partielle fonctionne

Suite à la Grande Récession de 2008-2009, le dispositif d’activité partielle a connu un regain d’intérêt. Afin de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans le cadre de ce dispositif, nous développons un modèle montrant que l’activité partielle permet de sauvegarder l’emploi au sein des entreprises affectées par des chocs économiques d’envergure, tandis que pour les entreprises faisant face à une moindre perte de chiffre d’affaires, le dispositif se traduit par une baisse des heures travaillées sans pour autant préserver l’emploi. Le coût de cette sauvegarde de l’emploi est faible dans la mesure où l’activité partielle cible les emplois menacés de destruction. À partir de données extrêmement détaillées relatives à la gestion administrative du dispositif d’activité partielle et couvrant l’ensemble des entreprises en France, nous mettons en œuvre une stratégie d’identification causale reposant sur la géographie du dispositif. Nous mettons ainsi en évidence que l’activité partielle a sauvegardé l’emploi uniquement au sein des entreprises confrontées à une considérable baisse du chiffre d’affaires durant la Grande Récession, en particulier celles ayant un important taux d’endettement. Le coût de l’activité partielle par emploi sauvé apparait très faible au regard d’autres politiques de l’emploi.

L’activité partielle, plus connue sous le nom de chômage partiel, est une politique de l’emploi destinée aux établissements confrontés à des difficultés conjoncturelles. Ce dispositif vise à préserver l’emploi en réduisant temporairement le nombre d’heures travaillées des salariés, tout en leur garantissant pour ces heures chômées une compensation partiellement financée par les pouvoirs publics. L’activité partielle permet de limiter les pertes d’emploi engendrées par les établissements confrontés à des marchés financiers imparfaits. L’activité partielle existe au sein de nombreux pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) depuis longtemps et a connu un regain d’intérêt suite à la Grande Récession de 2008-2009. Cependant, malgré le succès de ce dispositif, notamment dans le milieu académique, l’effet causal de l’activité partielle sur l’emploi demeure largement méconnu.


Notre papier étudie donc l’impact de l’activité partielle sur l’emploi. Pour ce faire, nous utilisons l’essor massif du dispositif d’activité partielle en France durant la Grande Récession. À partir de la fin de l’année 2009, le Ministère du Travail a non seulement augmenté le budget alloué à l’activité partielle mais a également transmis des circulaires et des directives en vue d’encourager le recours à l’activité partielle. En conséquence, la proportion de salariés en activité partielle a enregistré une augmentation de 0,3% en 2007, juste avant la Grande Récession, à 4% en 2009, l’année de l’expansion du dispositif. Les subventions par heure chômée et par salarié ont été respectivement multipliées par 1,4 et 2,5 entre ces deux dates. Le coût du dispositif a été multiplié par 20. Nous analysons précisément le dispositif d’activité partielle, à la fois dans son principe de fonctionnement et dans sa mise en œuvre pratique, afin de montrer dans quelle mesure et pourquoi l’activité partielle fonctionne – à la fois d’un point de vue théorique et empirique.


D’un point de vue théorique, nous montrons que l’activité partielle permet de sauvegarder l’emploi dans les entreprises confrontées à une baisse importante de leur chiffre d’affaires. Nous montrons également que les entreprises faisant face à une baisse modérée de leur chiffre d’affaires ont tendance à recourir à l’activité partielle pour diminuer les heures travaillées dans des emplois qui ne sont pas menacés de destruction. En revanche, l’activité partielle apparait bénéfique aux entreprises faisant face à des contraintes de crédit, qui recourent au dispositif afin de financer partiellement les emplois qu’elles ont besoin de maintenir suite à un choc très négatif. En dépit des effets d’aubaine potentiels susmentionnés pour les entreprises faisant face à un choc modéré ou qui n’ont pas de contrainte de crédit, le coût par emploi sauvé du dispositif apparait faible par rapport à d’autres politiques de l’emploi. À la différence des subventions salariales payées indépendamment du niveau d’heures travaillées, l’activité partielle incite les entreprises à utiliser ces subventions pour des emplois qui risquent bel et bien d’être détruits, plutôt que pour d’autres postes, dans la mesure où ces entreprises financent une partie des heures chômées. En d’autres termes, comme les entreprises placent en activité partielle en priorité les emplois risquant d’être détruits, les emplois à faible productivité nécessitant un soutien financier pour être maintenus durant des récessions sont davantage ciblés dans le cadre de l’activité partielle par rapport aux autres politiques telles que les subventions salariales. L’activité partielle permet ainsi de sauvegarder l’emploi durant les récessions à moindre coût.


D’un point de vue empirique, nous utilisons des données administratives fournissant une information extrêmement détaillée sur le recours à l’activité partielle, l’emploi et les caractéristiques financières de tous les établissements au niveau annuel en France durant la période 2007-2011. Afin de surmonter le problème de sélection associé au choix des entreprises de recourir à l’activité partielle, nous documentons le rôle de l’administration locale en charge de la gestion du dispositif au niveau local (départemental). L’administration locale est en charge d’informer les entreprises au sujet du dispositif, de gérer les demandes des entreprises de recours à l’activité partielle, et de payer les subventions d’activité partielle aux entreprises. Leur autonomie en termes de gestion engendre une forte hétérogénéité comportementale, en particulier dans leur délai de réponse aux demandes de recours, entre les 95 départements de France métropolitaine avant la Grande Récession. Le délai de réponse administrative joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre de l’activité partielle. Nous mettons également en lumière la manière dont le recours au dispositif se propage d’une entreprise à l’autre au niveau local. Nous mettons en évidence, en prenant en compte le délai de réponse de l’administration, que la proximité géographique d’utilisateurs d’activité partielle avant la récession favorise le recours à l’activité partielle en 2009. En particulier, l’utilisation de l’activité partielle se propage en 2009 à partir des entreprises multi-établissement recourant à l’activité partielle en 2008 du fait de leur localisation dans un département avec un délai de réponse administrative court. La diffusion du recours à l’activité partielle semble donc également jouer un rôle fondamental. Cette diffusion pourrait provenir de la transmission d’information d’une entreprise à l’autre. Elle peut également être due à un effet de pair, qui réduit l’effet potentiellement stigmatisant du recours à l’activité partielle vis-à-vis des salariés, des partenaires commerciaux et des créditeurs de l’entreprise. Nous construisons donc les instruments suivants pour le recours à l’activité partielle des entreprises n’y ayant pas recouru durant les deux années précédant 2009 : (a) le délai de réponse administrative au niveau départemental en 2008 et (b) la distance (géographique) de l’entreprise à l’entreprise multi-établissement la plus proche ayant recouru à l’activité partielle en 2008. Ainsi, nous soutenons que les résultats présentés dans le papier sont causaux.


En premier lieu, l’activité partielle a un effet clairement positif sur l’emploi et la survie des entreprises confrontées à une baisse considérable de leur chiffre d’affaires, en particulier lorsque ces entreprises sont fortement endettées. En revanche, l’activité partielle n’a pas d’effet sur l’emploi et la survie des autres entreprises. En conséquence, environ la moitié des utilisateurs d’activité partielle en 2009 tirent profit des effets d’aubaine associés au dispositif, dans la mesure où ils perçoivent des subventions pour des emplois qui ne sont pas menacés de destruction. Cependant, l’activité partielle a globalement contribué à préserver l’emploi et a également limité la baisse du nombre total d’heures travaillées. Pour chaque salarié en activité partielle, 0,2 emploi est sauvegardé et le nombre total d’heures travaillées augmente de 10% par rapport à niveau habituel d’heures travaillées par ce salarié. Ces résultats empiriques confirment donc nos conclusions théoriques. En effet, en dépit des effets d’aubaine susmentionnés, le coût par emploi sauvé de l’activité partielle (c’est-à-dire le montant total de la subvention nécessaire pour préserver un poste) en 2009 est estimé à 7% du coût moyen du travail et est donc très faible au regard d’autres politiques de l’emploi. De plus, les pouvoirs publics économisent 25% du coût moyen du travail lorsqu’un individu passe d’une situation de non-emploi à une situation d’emploi faiblement rémunéré, et l’activité partielle permet donc la réduction de la dépense publique en 2009. Par ailleurs, nos résultats révèlent également que l’activité partielle ne semble pas préserver l’emploi dans des entreprises structurellement faibles et incapables de surmonter la récession à moyen-terme. L’activité partielle permet plutôt aux entreprises fortement endettées, soumises à des contraintes de crédit en cas de marchés financiers défaillants, de préserver leur emploi et de surmonter rapidement la récession.

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Document de travail n°692 : Quand l’activité partielle fonctionne
  • Publié le 10/09/2018
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Mis à jour le : 10/10/2018 15:10