Document de travail n°703 : Monnaie et capital dans une trappe à liquidité persistante

Dans cet article, nous analysons les implications d'une trappe à liquidité persistante dans un modèle monétaire caractérisé par la rareté des actifs. Nous montrons qu'une trappe à liquidité peut entraîner une hausse des encaisses monétaires réelles et être associée à une baisse de la production à moyen terme. Cet impact à moyen terme est un effet d'offre qui peut se produire lorsque les agents sont hétérogènes. Il se produit notamment lors d'un choc de désendettement persistant, qui conduit les investisseurs à détenir de la monnaie avec un faible rendement. Les implications en termes de politiques économiques diffèrent des analyses à plus court terme qui découlent de rigidités nominales. L'assouplissement quantitatif conduit à une trappe à liquidité plus profonde. Sortir de la trappe en augmentant l'inflation anticipée ou en appliquant des taux d'intérêt négatifs ne résout pas le problème de la rareté des actifs.

Plusieurs économies avancées ont connu récemment des taux d'intérêt nominaux proches de zéro pendant de longues périodes, une situation dite de trappe à liquidité. Les États-Unis, par exemple, ont connu des taux d'intérêt proches de zéro de 2008 à 2015, tandis que le Japon se trouve dans une trappe à liquidité depuis 1999. Ces épisodes sont de longue durée par rapport à la fréquence habituelle du cycle économique. Elles sont associées à une augmentation substantielle des encaisses réelles détenues par le secteur privé non financier et à des niveaux décevants de croissance de l'investissement et de la production.

Des recherches antérieures ont expliqué comment la faiblesse de la demande pouvait avoir un effet très négatif sur la production lorsque le taux d'intérêt nominal est bloqué à la limite du taux zéro (zero lower bound ou ZLB) après un choc négatif important. Compte tenu de la durée de ces épisodes, il est toutefois probable que les facteurs d'offre deviennent progressivement importants à moyen terme, à mesure que l’activité rebondit après le choc de demande initial. Dans ce document de travail, nous identifions un mécanisme d'offre qui pourrait contribuer à une reprise plus lente dans une trappe à liquidité persistante. Lorsque le taux d'intérêt est bloqué à zéro, le désir des investisseurs privés de se désendetter peut les amener à détenir dans leur ensemble d'importantes encaisses monétaires réelles. Comme la monnaie a un faible rendement, cela peut réduire leur capacité d'investissement et avoir un effet négatif sur la production.

Nous étudions un modèle d'investisseurs hétérogènes caractérisé par la rareté des actifs financiers. Les investisseurs doivent épargner avant d'avoir une opportunité d’investissement. En temps normal, leur épargne est canalisée vers les emprunts des investisseurs qui ont besoin d'investir. Lors d’un processus de désendettement, l'offre d'obligations par les emprunteurs diminue alors que la demande d'instruments d'épargne augmente. La réaction d'équilibre est un taux d'intérêt plus bas, qui stimule l'emprunt et soutient l'investissement et la production. C'est ce qu'illustre la ligne noire en trait fin de la figure ci-dessous, qui montre la réaction à un choc de désendettement de 10 ans dans une économie sans ZLB. Dans l'exemple présenté, le taux d'intérêt plus bas permet d'isoler complètement l’investissement et la production des effets du désendettement.

Le désendettement a un impact très différent lorsque l'économie atteint la ZLB. Cette situation est représentée par la ligne bleue en trait pointillé, dans le cas extrême où les salaires nominaux sont infiniment flexibles. Lorsque le taux d'intérêt ne peut pas s'ajuster à la baisse, l'emprunt privé n'est plus en mesure de répondre à la demande d'instruments d'épargne. Les investisseurs commencent alors à détenir de la monnaie en plus des obligations. Mais le faible rendement de la monnaie dans le portefeuille agrégé des investisseurs diminue leur revenu et leur capacité d'investissement. Cela contraint la production à moyen terme.

Ce nouveau mécanisme d’offre est complémentaire des canaux habituels de demande analysés par les recherches antérieures, qui sont importants à court terme mais qui s'atténuent à moyen terme. Dans notre modèle, la demande accrue de monnaie par les investisseurs déclenche un processus désinflationniste. Si les salaires nominaux sont lents à s'ajuster, une situation représentée par la ligne rouge en trait épais, ce processus se traduit à court terme par une baisse substantielle de l'emploi et de la production. Toutefois, à mesure que les prix et les salaires nominaux s'ajustent, l'économie rebondit et converge vers la trajectoire suivie par l’économie à salaires flexibles dans laquelle la production n'est limitée que par le canal de l'offre.

Le modèle a des implications de politiques économiques différentes de celles des analyses à court terme. Les transferts monétaires aux agents privés sont très efficaces pour atténuer les effets à court terme des chocs de désendettement sur la demande, mais ne permettent pas d'atténuer leurs effets d’offre sur l'accumulation du capital. Une cible d'inflation plus élevée ou des taux d'intérêt négatifs peuvent aider à sortir de la trappe à liquidité, mais ne résolvent pas le problème de la rareté des actifs. Une augmentation de la dette publique peut également aider à sortir de la trappe à liquidité puisqu'elle fournit les instruments d'épargne nécessaires, mais elle peut réduire le stock de capital et le niveau de la production en raison des taux d'intérêt plus élevés. L'achat d'obligations financées par création monétaire, une politique connue sous le nom d'assouplissement quantitatif, peut retarder la sortie de la trappe à liquidité en diminuant davantage l'offre d'actifs disponibles pour le secteur privé.
 

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Document de travail n°703 : Monnaie et capital dans une trappe à liquidité persistante
  • Publié le 17/12/2018
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Mis à jour le : 17/12/2018 07:59