Document de travail n°706 : L’effet des fonds mutuels sur les obligations d’entreprises. Le cas français

Nous étudions comment les retraits des fonds communs de placement (OPC) par les investisseurs peuvent affecter le marché français des obligations d’entreprises. Nous utilisons des données mensuelles sur les flux des OPC obligataires et mixtes français ainsi qu'une base de données sur leurs avoirs détaillée au niveau de chaque obligation de 2011 à 2017. Après avoir sélectionné les données d’obligations d’entreprises françaises détenues par les fonds, nous procédons à des régressions de données de panel afin d’expliquer leurs rendements à l’aide de variables macroéconomiques, telles que le taux souverain 10 ans, le taux à court terme, le Vstoxx ainsi que des variables spécifiques à chaque obligation, telles que la maturité résiduelle, la liquidité et la probabilité de défaut de l’émetteur. Nous prenons également en compte le programme d’achat de titres de sociétés (CSPP) mis en œuvre par la BCE depuis juin 2016 en ajoutant des variables muettes sur les obligations éligibles. Ensuite, nous ajoutons des variables liées aux entrées / sorties pour tester plusieurs hypothèses. Nos résultats montrent que, premièrement, les flux (versements ou retraits) sur les fonds affectent les rendements des obligations. Deuxièmement, cet effet est asymétrique car les retraits ont un impact plus important sur les rendements que les versements. Troisièmement, plus la part de marché des fonds dans une obligation spécifique est importante, plus l’impact sur cette obligation est important. Ces trois résultats sont robustes au changement de spécification économétrique.

Visuel - effet des fonds mutuels sur les obligations d’entreprises
Visuels Flux mensuels

Les actifs sous gestion des fonds d’investissement ont augmenté considérablement sur les dernières décennies dans la plupart des pays.  Ils s’élèvent à €11 000 milliards de dollars en zone euro en 2017, ce qui équivaut à peu près au PIB annuel. Les fonds français jouent un rôle important dans le paysage financier de la zone euro, se classant maintenant en 4ième place derrière le Luxembourg, l’Allemagne et l’Irlande et représentant 10% des fonds de toute la zone (Ponsart and Salvio, 2018).

Cette forte  croissance des fonds mutuels qui est due pour partie à l’environnement de taux bas et au développement des financements de marchés  pose des questions pour la stabilité financière. Un facteur de vulnérabilité majeur provient d’un éventuel déséquilibre dans la liquidité des actifs par rapport au passif des fonds, qui peut créer un avantage pour le premier investisseur retirant ses fonds dans une crise. En fait, lorsque des fonds avec des actifs peu liquides font face aux retraits des investisseurs, ils peuvent exercer des effets négatifs sur les prix d’actifs vendus de façon à satisfaire la demande de retraits des investisseurs. Dans ce document, nous analysons les effets sur le marché français d’obligations d’entreprises exercés par les fonds obligataires et mixtes  français qui représentent à peu près la moitié des fonds d’investissements français (actifs nets de € 638 000 milliards en 2017).

Nous utilisons des données mensuelles fournies par la Banque de France sur le total des flux entrant et sortant des fonds obligataires et mixtes ainsi que sur les montants d’obligations détenues par ces fonds, obligation par obligation, sur la période allant de Juillet 2011 à Décembre 2017. Parmi toutes les obligations détenues par les fonds, nous retenons celles qui sont émises par des entreprises non financières françaises pour deux raisons. Premièrement, il y a un biais domestique important qui rend les emprunteurs français prépondérants dans le portefeuille d’obligations détenues par les fonds. Deuxièmement, la faible liquidité des obligations d’entreprises comparée à celles des obligations souveraines ou financières nous incite à penser que leur prix serait plus sensible aux transactions des fonds.

Le graphique ci-dessous montre les flux nets mensuels entrant ou sortant des fonds obligataires et mixtes français rapportés à leur actif total net sur la période 2011 à 2017.  Les flux nets sont très erratiques, passant fréquemment des versements aux retraits nets.  Les retraits nets se produisent au cours d’environ 40% des périodes de l’échantillon et atteignent leur pic au sommet de la crise de la dette européenne à l’été 2012.

Notre but est d’identifier les effets de ces flux nets dans les fonds sur les rendements des obligations d’entreprises. Pour ce faire, nous estimons des régressions qui explique les rendements par des variables macroéconomiques comme le taux souverain français à 10 ans, le taux à court terme, le VStoxx ainsi que par des variables spécifiques à chaque obligation telles que la maturité résiduelle, la liquidité, la probabilité de défaut de l’émetteur. Nous prenons aussi en compte le programme d’achat des obligations d’entreprises, (le CSPP) mené par la BCE depuis juin 2016 en intégrant des variables muettes sur les obligations éligibles.  Ensuite, nous testons plusieurs hypothèses concernant la réponse des rendements des obligations aux flux nets entrants ou sortant des fonds.  Premièrement, nous vérifions que les fonds entrants et sortants affectent les rendements des obligations. Deuxièmement, nous testons la concavité de la relation entre flux nets et rendements des obligations qui peut se produire en raison de la faible liquidité du marché obligataire. En d’autres termes, nous voulons montrer que  les retraits affectent davantage les rendements que les versements. Troisièmement, nous vérifions que l’impact sur les rendements est plus fort pour les obligations qui sont les plus détenues par les fonds. Les estimations confirment fortement ces trois hypothèses et les résultats sont robustes aux changements de spécifications  économétriques.

Nous testons aussi deux hypothèses supplémentaires. Premièrement, nous cherchons à savoir si la prime de liquidité est affectée par les retraits. Nos estimations montrent que la prime de liquidité augmente en cas de retraits, mais ce résultat n’est pas significatif dans toutes les spécifications économétriques. L’effet non significatif peut être relié à la suggestion de Baranova et al. (2018) selon laquelle les gestionnaires d’actifs ont tendance à vendre leurs actifs au prorata de leur part dans l’actif total quand ils doivent faire face à des retraits. Deuxièmement nous voulons savoir si les obligations les plus détenues par les fonds sont aussi les plus vulnérables au stress financier. Nous trouvons que  la détention par les fonds augmente la vulnérabilité  des obligations au stress financier, bien que ce résultat ne soit pas significatif dans toutes les spécifications économétriques. 

Deux conclusions sont particulièrement importantes pour la stabilité financière. Premièrement, les fonds obligataires exercent un effet significatif sur les rendements des obligations d’entreprise en France, particulièrement au moment des retraits des investisseurs. Ces résultats sont cohérents avec les quelques études disponibles pour les États-Unis (Chernenko and Sunderam, 2016; Choi and Shin, 2016). Deuxièmement, nous trouvons que plus une obligation est détenue par les fonds, plus son rendement est dépendant des flux entrants et sortant des fonds. Ce résultat est à relier à la fragilité plus grande des actions qui ont la plus forte concentration de fonds mutuels parmi leurs propriétaires, mise en évidence par Greenwood et Thesmar ( 2011) pour les Etats-Unis. Plus généralement, cela soulève des questions sur les effets possibles de  la concentration des actifs aux mains d’une institution ou d’un groupe d’institutions.

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Document de travail n°706 : L’effet des fonds mutuels sur les obligations d’entreprises. Le cas français
  • Publié le 15/01/2019
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Mis à jour le : 03/12/2019 12:09