Document de travail n°730 : Marchés collatéralisés et non-collatéralisés : politique monétaire, substitution et coût du collatéral

Nous étudions la substitution entre les marchés interbancaires collatéralisés et non-collatéralisés. Des banques compétitives sont soumises à un ratio de réserve dans un système de refinancement ayant une facilité de dépôt et une autre de refinancement. Les banques font face à du risque de contrepartie dans le marché non-collatéralisé et sont sujettes à un coût d’opportunité du collatéral. Notre modèle décrit le comportement des taux d’intérêts, volumes échangés et de la substitution entre les deux marchés. Nous utilisons des données granulaires des marchés interbancaires pour établir de nouveaux faits stylisés expliqués par le modèle : (i) les banques empruntent sur les deux marchés, même quand leur contrainte de collatéral n’est pas saturée, (ii) les taux du marché collatéralisé peuvent descendre sous le taux de la facilité de dépôt. Nous établissons et testons des prévisions du modèle concernant l’impact différencié des politiques monétaires « conventionnelles » et « non-conventionnelles ».

Les marchés monétaires garantis et non garantis sont les principaux marchés de refinancement à court terme des banques. Ils jouent un rôle clé dans la transmission de la politique monétaire. Alors que le taux d'intérêt interbancaire non garanti est l'objectif de la politique monétaire de la plupart des banques centrales dans le monde, ce n'est que récemment que le marché des prêts garantis a attiré l'attention des responsables politiques lorsque ses taux sont passés sous le taux de la facilité de dépôt. Toutefois, on ne comprend pas encore comment ces deux marchés coexistent et comment les banques réagissent à la politique monétaire dans ces deux marchés. Dans ce document, nous étudions le comportement conjoint des banques sur les marchés garantis et non garantis. Parmi les questions que nous voulons aborder dans ce document, mentionnons les suivantes : les banques empruntent-elles sur le marché non garanti en raison d'une pénurie de collatéral à apporter sur le marché garanti ? Pourquoi et quand les taux du marché garanti peuvent-ils sortir du couloir des taux monétaires ? Quel est l’impact de la politique monétaire non conventionnelle et du risque de contrepartie sur la substitution entre les deux marchés ?

 

Nous commençons par documenter de nouveaux faits empiriques concernant ces deux marchés. Nous utilisons les données de transaction du système de paiement TARGET2 pour récupérer les prêts interbancaires non garantis et un ensemble de données du marché Eurex GC Pooling, un marché interbancaire garanti géré par Eurex. Nous montrons d'abord que les banques empruntent sur les deux marchés, alors même que leur contrainte de collatéral n'est pas contraignante. Ce fait éclaire les contributions théoriques antérieures. Il révèle que la politique de refinancement des banques ne suit pas une hiérarchie; elles ne préfèrent pas strictement un type de financement à l'autre. Au lieu de cela, les emprunts non garantis et garantis sont des substituts imparfaits des banques. Deuxièmement, nous documentons que les volumes garantis et non garantis diminuent lorsque les réserves excédentaires augmentent, ce qui confirme les résultats présents dans la littérature. Troisièmement, nous montrons que l'augmentation des réserves excédentaires conduit le taux non garanti au taux de la facilité de dépôt de la BCE, mais que le taux du marché garanti peut tomber en dessous du taux de la facilité de dépôt lorsque les réserves excédentaires sont grandes. Ce fait est surprenant car ni la concurrence imparfaite avec les acteurs non bancaires, ni la nécessité de détenir un titre spécifique ne sont présents dans nos données. Ces deux éléments expliquent généralement pourquoi le taux des marchés garantis peuvent tomber en dessous du taux de la facilité de dépôt. En effet, dans nos données, les participants sont uniquement des banques européennes et les prêteurs ne reçoivent pas de titres particuliers mais une créance sur un panier de garanties géré par Eurex.

Ensuite, nous construisons un modèle tenant compte de ces faits stylisés. Suivant le modèle de Poole (1968), les banques sont soumises à des chocs sur leurs avoirs de réserves dans un système de couloir des taux monétaires et de réserves obligatoires. Toutefois, les banques peuvent prêter ou emprunter simultanément sur les deux marchés : le marché non garanti et le marché garanti, en échange de collatéral pour le deuxième. Nous introduisons deux frictions financières : les banques prêteuses font face à un risque de contrepartie sur le marché non garanti, et toutes les banques font face à un coût d'opportunité de leur collatéral, c'est-à-dire qu'elles tirent une utilité supplémentaire de la détention d'obligations non immobilisées sur le marché garanti.

Ces frictions financières nous aident à expliquer les faits stylisés susmentionnés. Les banques ne négocient pas sur le marché non garanti si le risque de contrepartie est trop élevé; autrement, elles négocient à la fois sur les marchés non garantis et garantis. Les emprunteurs mettent en gage tout leur collatéral sur le marché garanti si le gain marginal résultant de la détention de réserves dépasse le coût d'opportunité du collatéral, notamment si le risque de contrepartie ou les réserves obligatoires sont élevés. Si le risque de contrepartie est suffisamment faible, ils ne mettent pas en gage tout leur collatéral et empruntent sur les deux marchés. En raison du coût d'opportunité du collatéral, les prêteurs valorisent la détention de collatéral supplémentaires. Par conséquent, les taux sur les marchés garantis ne sont pas bornés par le taux de la facilité de dépôt.

Enfin, nous montrons comment les politiques monétaires « conventionnelles » et « non conventionnelles » affectent différemment les marchés interbancaires. Les deux politiques monétaires  ont le même effet sur les volumes globaux et le taux non garanti, mais elles modifient la substitution et l'écart entre les deux marchés parce qu'elles ont des effets opposés sur le coût d'opportunité du collatéral. Les tests empiriques confirment ces résultats théoriques : les politiques d’augmentation des réserves VLTRO et APP ont le même effet sur les taux d'intérêt non garantis, tandis que les taux garantis diminuent relativement lorsque la banque centrale rachète des titres.

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Document de travail n°730 : Marchés collatéralisés et non-collatéralisés : politique monétaire, substitution et coût du collatéral
  • Publié le 20/09/2019
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Mis à jour le : 20/09/2019 11:59