Document de travail n°735 : Les effets réels du partage des pouvoirs : incertitude politique et investissement des entreprises

Cet article étudie les effets économiques du partage des pouvoirs sur l'investissement et l'emploi des entreprises. Il utilise les résultats des élections des gouverneurs aux États-Unis, de 1978 à 2010, comme source de variation au fait qu’un même parti politique contrôle simultanément le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif (gouvernement unifié) ou non (gouvernement de coalition). Le passage à un gouvernement unifié conduit à un déclin temporaire de l’investissement et du taux de création d’emplois, l’année qui suit l’élection, tandis que la volatilité des rendements boursiers augmente. Les résultats sont en adéquation avec le fait que l’élection d’un gouvernement unifié accroit l'incertitude politique en augmentant la probabilité de changements politiques futurs. En ligne avec la théorie de l’investissement comme option réelle, l'effet est plus marqué pour les entreprises à forte intensité en capital dont les actifs sont plus difficilement redéployables.

La crise politique qui a paralysé le gouvernement américain en janvier 2019[1] a soulevé la question des conséquences économiques d'avoir un gouvernement contrôlé ou non par un seul parti - c'est-à-dire un gouvernement unifié vs. divisé ou de cohabitation. Cette question n'est pas spécifique aux États-Unis. Plusieurs pays européens, dont l'Allemagne ou l'Italie, ont également connu des législatures divisées et la nécessité de former des gouvernements de coalition ces dernières années.

Le concept de gouvernement unifié est au cœur du processus législatif car le degré de contrôle que le parti au pouvoir exerce sur le gouvernement a une incidence directe sur sa capacité à réformer. Cette capacité est matériellement plus grande lorsque le gouvernement est unifié. La probabilité de changements politiques importants augmente alors et avec elle l'incertitude entourant ces changements : incertitude quant aux politiques qui seront introduites, quant au moment où elles le seront et quant aux effets qu’elles auront. Au contraire, suite à l'élection d'un gouvernement divisé, la prise de décision politique nécessite une négociation transpartisane et conduit à des politiques (économiques) plus modérées et à une probabilité réduite de changements politiques conséquents.

Cet article examine les effets économiques de l’alternance entre gouvernements unifié ou divisé, sous l'angle de l'incertitude politique. Pour cela il utilise les résultats des élections des gouverneurs aux États-Unis comme source de changement conduisant à avoir un gouvernement unifié ou non, et permettant d’isoler l'effet des transitions politiques d’autres facteurs conjoncturels.

L’approche empirique développée exploite le fait que les différents États américains ont des cycles électoraux décalés et n’élisent donc pas leur gouverneur la même année. Cela crée des variations, au cours du temps et entre États, qui permettent de mettre en œuvre une estimation par doubles différences en comparant les entreprises situées dans les États dont le gouvernement devient unifié, ou dont le gouvernement devient divisé, aux entreprises situées dans les États qui ne connaissent aucun changement. Le papier utilise également, pour un sous-échantillon d’élections contestées, une approche de régression avec discontinuité. On compare alors les entreprises situées dans les États dont le gouvernement devient unifié parce qu'un candidat au poste de gouverneur a remporté une élection de justesse, à celles situées dans les États qui sont restés divisés parce qu'un candidat au poste de gouverneur a perdu une élection de justesse.

Les résultats empiriques montrent que les transitions entre un gouvernement divisé et un gouvernement unifié induisent des cycles dans l'investissement et l'emploi des entreprises. Plus précisément, dans l'année qui suit une élection, le taux d'investissement des entreprises ayant leur siège social dans des États qui élisent un gouvernement unifié, diminue en moyenne de trois à cinq pourcent par rapport aux autres entreprises (voir figure). Le taux de création d'emplois diminue également. L'effet est entièrement concentré au cours de l’année qui suit l'élection, ce qui est cohérent avec un effet de report, temporaire, de décisions d'investissement (partiellement) irréversibles en présence d'incertitude. Cet effet est par ailleurs plus marqué pour les petites entreprises et les entreprises dont les activités sont concentrées dans l'État dans lequel se situe leur siège social, entreprises qui sont par définition plus exposées à la politique économique locale.

Les effets d’un passage à un gouvernement divisé sur l'investissement des entreprises sont faiblement positifs ; ils varient avec le temps en fonction du degré de polarisation politique et peuvent même devenir très négatifs dans les États où les partis républicain et démocratique sont les plus divergents sur le plan idéologique. Cela suggère que le statu quo a des effets indésirables lorsque la polarisation politique est trop forte - car il aboutira plus largement à des situations de blocage qu’à des situations de compromis politique.

Enfin, la sensibilité de l’investissement aux changements de type de gouvernement est plus prononcée pour les entreprises dont les investissements en capital productif sont irréversibles, entreprises pour lesquelles la théorie optionnelle de l’investissement prédit qu’en présence d’incertitude il peut être optimal d’attendre d’avoir plus d’information avant d’investir. L'augmentation de la volatilité des rendements boursiers pour les entreprises situées dans des États dont le gouvernement devient unifié, confirme également l'hypothèse que les changements institutionnels se traduisent par des changements dans l'incertitude politique.

Cet article montre que le partage des pouvoirs exécutif et législatif entre différents partis politiques est une dimension susceptible d’influer sur le comportement des entreprises par le biais du canal de l'incertitude politique. Plus généralement, ces résultats mettent en évidence l'interaction entre les institutions politiques et les décisions des entreprises.

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Document de travail n°735 : Les effets réels du partage des pouvoirs : incertitude politique et investissement des entreprises
  • Publié le 28/10/2019
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Mis à jour le : 28/10/2019 15:28