Document de travail n°803 : Distorsions politiques hétérogènes et part du travail

Je développe une extension du modèle de croissance néoclassique dans lequel les entreprises sont hétérogènes à la fois en termes de part du travail et de productivité. Dans ce modèle, des distorsions politiques dans l'allocation des ressources entre les entreprises peuvent avoir un impact substantiel sur la part du travail dans le revenu national. En utilisant des données administratives d’entreprises pour calibrer le modèle, je montre en particulier que le fait de retirer une taxe sur la production des entreprises plus productives peut générer une diminution importante de la part globale du travail (entre 1 et 4 points de pourcentage). Mes résultats suggèrent que le récent déclin de la part globale du travail dans le revenu est à la fois qualitativement et quantitativement cohérent avec une amélioration de l'allocation des ressources entre les entreprises.

Les politiques gouvernementales qui imposent des contraintes inégales entre les entreprises sont très répandues. Que ce soit chez les décideurs politiques ou les universitaires, ces politiques sont soupçonnées d'avoir des effets macroéconomiques néfastes importants, notamment en termes de productivité et de production agrégées. Dans cet article, j'étudie l'impact des distorsions politiques hétérogènes sur une autre variable macroéconomique majeur : la part du travail dans le revenu national.

Il existe un large éventail de distorsions hétérogènes, allant de la réglementation du marché du travail à la politique commerciale ou encore fiscale. Mon analyse du lien entre ce type de distorsions et la part du travail repose sur une simple régularité empirique : les grandes entreprises ont tendance à avoir une part du travail plus faible que les petites entreprises. Par conséquent, toute politique limitant le poids des grandes entreprises dans l'économie entraîne potentiellement une redistribution du revenu national vers le travail. La principale contribution de cette étude est de montrer que cet effet de composition peut être substantiel, ce qui contribue à notre compréhension générale des déterminants de la part du travail.

Afin de quantifier l'importance des distorsions politiques hétérogènes, je propose une extension du modèle de croissance néoclassique avec deux dimensions d’hétérogénéité entre entreprises. À l’équilibre stationnaire, les fonctions de production des firmes varient à la fois en termes de productivité totale des facteurs et d'élasticité des facteurs. Je calibre le modèle en utilisant des données administratives sur la production des entreprises françaises pour la période 1995-2007. En particulier, je fixe le niveau de corrélation entre les deux paramètres technologiques de manière à répliquer la corrélation taille - part du travail observée dans les données. Ensuite, j'étudie l'impact de politiques qui créent une dispersion entre les entreprises en termes de prix de la production ou de prix des facteurs. En faussant l'allocation des ressources productives, de telles politiques peuvent avoir un impact sur le poids des entreprises à forte intensité capitalistique dans l'économie. Il en résulte une distorsion de la demande relative de capital et de travail qui, en fin de compte, a un impact sur la part du travail dans le revenu national.

Mes simulations montrent qu’il est primordial de prendre en compte les différences de part du travail entre entreprises pour quantifier l'impact de distorsions hétérogènes. La taxation de la production des 50 % d'entreprises les plus productives se traduit par une augmentation de la part nationale du travail allant de 1 point de pourcentage (ci-après "p.p.") à 2 p.p., pour des taux de taxation de 10 à 50 %. Ces effets doublent lorsque je prends en compte la sélection, c'est-à-dire le fait que la taxation des entreprises productives permet à certaines entreprises non productives ayant une part de travail élevée de survivre dans l'économie. Pour mettre ces chiffres en perspective, la part du travail en France était de 5 p.p. plus importante qu'aux États-Unis en 2005. 5 p.p. correspond également à la baisse globale de la part du travail au cours des 30 dernières années, telle qu'estimée par Karabarbounis et Neiman (2014). Mes résultats suggèrent que le retrait de distorsions défavorables aux firmes les plus productives pourrait expliquer de 20 à 75 % de cette évolution.

Le mécanisme présenté dans cette étude est important pour comprendre ce que les mouvements de la part du travail peuvent nous apprendre sur l'efficacité économique. Il est prouvé que le déclin global de la part du travail observé au cours des dernières décennies résulte d'une augmentation du taux de marge moyen des entreprises (De Loecker et Eeckhout, 2017, 2018), et donc potentiellement d'une perte d'efficacité économique. Au contraire, mes résultats suggèrent que ce déclin est cohérent, à la fois qualitativement et quantitativement, avec une meilleure allocation des ressources vers les grandes entreprises au fil du temps.

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Document de travail n°803 : Distorsions politiques hétérogènes et part du travail
  • Publié le 26/01/2021
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Mis à jour le : 26/01/2021 12:59