Document de travail n°846 : Des nouvelles de la frontière : augmentation de la dispersion de la productivité entre firmes et réallocation des facteurs

En analysant les entreprises françaises de 1991 à 2016, nous trouvons que depuis le début du siècle, une ou deux ruptures à la baisse de la tendance de la productivité ont eu lieu dans tous les secteurs, à la fois pour les entreprises à la frontière de productivité et pour les entreprises retardataires, suggérant un déclin de la contribution du progrès technologique à la croissance de la productivité. La médiane de la part du travail est toujours plus élevée pour les entreprises retardataires, avec une forte baisse de la mi-1990 à 2008 et une augmentation depuis 2008. Enfin, la réallocation des facteurs a baissé significativement dans les années 2000, au moment où on observe une augmentation de la dispersion de la productivité, avec un écart de productivité croissant entre firmes à la frontières et retardataires. Cette réallocation a été plus faible en moyenne sur toute la période pour les secteurs avec une forte part d’importations, ce qui peut être lié à l’impact des chaînes de valeur mondiales.

Le ralentissement de la productivité observé dans la plupart des économies avancées depuis les années 2000 a conduit à une croissance historiquement faible, remettant en cause de nombreuses caractéristiques des modèles économiques et sociaux. La littérature économique s'est de plus en plus intéressée aux explications de ce ralentissement au niveau des entreprises et à l'impact de la révolution technologique en cours. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce ralentissement. L'une d'entre elles est qu'il résulte d'un ralentissement dans les entreprises à la frontière de la productivité, ce qui suggère une diminution de la contribution du progrès technologique à la croissance de la productivité. Une autre est qu'il résulte d'une mauvaise allocation des facteurs de production, associée à une dispersion croissante de la productivité entre les entreprises et à un écart de productivité croissant entre les entreprises à la frontière et les autres entreprises.

Dans cet article, nous avons observé des faits stylisés similaires sur l'économie française et sur l'économie mondiale, en particulier une dispersion croissante de la distribution de la productivité, à la fois pour les indicateurs synthétiques de dispersion (voir Cette et al., 2017 et 2018) et entre les entreprises à la frontière et les autres entreprises (cf. graphique ci-dessous) en utilisant la base de données FiBEN couvrant toutes les entreprises françaises dont le chiffre d'affaires annuel dépasse 750 000 euros ou qui détiennent plus de 380 000 euros de prêts bancaires.

Parmi les hypothèses avancées pour expliquer le ralentissement, la moindre contribution du progrès technologique ne peut être écartée selon Gordon : nous observons des ruptures dans l'évolution de la productivité dans de nombreux secteurs avant 2008, pointant vers l'explication technologique plutôt que vers les conséquences de la crise financière ; de plus, les estimations économétriques montrent des ruptures de productivité significatives dans toutes les industries, tant à la frontière que pour les autres entreprises.

Cependant, nous estimons également une baisse significative de la réallocation du travail au début des années 2000, au moment où nous avons observé une augmentation de la dispersion de la productivité, avec un écart de productivité croissant entre les entreprises à la frontière et les entreprises à la traîne. L'explication basée sur les caractéristiques spécifiques des TIC n'est pas entièrement confirmée dans le cas français. D'une part, la part du travail à la frontière a fortement diminué (de plus de dix points de pourcentage) entre le milieu des années 1990 et 2008 et le taux de renouvellement des entreprises à la frontière était en baisse avant 2008. Ces deux faits stylisés suggèrent qu'avant la crise, les entreprises à la frontière ont augmenté leur avantage productif par rapport aux autres entreprises, ont été de moins en moins obligées de concurrencer les autres entreprises et ont alors pu augmenter leur taux de marge. En revanche, depuis 2008, la part médiane du travail a augmenté, compensant environ la moitié de la baisse précédente, et le taux de renouvellement des entreprises à la frontière a été structurellement important, avec un minimum d'un tiers des entreprises quittant la frontière chaque année.

Au contraire, l'augmentation de la dispersion et la baisse de l'efficacité de la réallocation peuvent correspondre à une diminution des contraintes financières et des taux d'intérêt réels, comme le décrivent Aghion et al. (2019). Il apparaît également que la réallocation a été significativement plus faible en moyenne sur l'ensemble de la période pour les secteurs ayant une part élevée de TIC. La combinaison d'une hausse de la part des secteurs TIC et d'une efficacité de réallocation plus faible dans ces secteurs peut expliquer à la fois la dispersion accrue de la productivité et son ralentissement global.

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Document de travail n°846 : Des nouvelles de la frontière : augmentation de la dispersion de la productivité entre firmes et réallocation des facteurs
  • Publié le 16/11/2021
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Mis à jour le : 16/11/2021 17:57