Document de travail n°860 : « Credit Default Swaps » et réallocation du risque de crédit

Nous utilisons des données sur les détentions granulaires de dettes et de contrats d’échange sur le risque de crédit (CDS) référençant des sociétés non financières par les investisseurs financiers afin d'étudier comment les CDS réallouent le risque de crédit et si leur utilisation augmente le risque des portefeuilles individuels. Nous construisons une méthodologie permettant de distinguer les positions de CDS entre trois stratégies : couverture, spéculation et arbitrage. Dans notre base de données, l'arbitrage reste anecdotique. Nous constatons que les CDS réduisent la concentration des expositions, les « hedgers » couvrant leurs expositions les plus concentrées, tandis que les spéculateurs substituent la dette aux CDS. Les CDS facilitent également la prise de risque par les spéculateurs. Dans l'ensemble, les CDS augmentent les paramètres de risque du portefeuille, en raison de l'effet limité des stratégies de couverture par rapport aux stratégies spéculatives.

Les « credit default swaps » (CDS) sont des produits dérivés qui ont un impact sur le risque individuel des investisseurs. La recherche actuelle étudie peu les conséquences distributives des CDS sur l’allocation du risque parmi les investisseurs pour deux raisons. Premièrement, les CDS sont un jeu à somme nulle en agrégé et les paiements occasionnées ne sont que des transferts entre agents financiers. Cependant, des contributions récentes telles que Gabaix (2011) soulignent l’importance des chocs individuels sur les variables agrégées. Deuxièmement, le manque de données granulaires sur les produits dérivés et les détentions de dette rendent difficile ces études. Dans cet article, nous utilisons des données trimestrielles granulaires sur les expositions en dette et CDS des investisseurs français sur les sociétés non financières (SNF), et des banques de la zone euro (ZE) sur les SNF françaises.  Nous éclairons la manière dont les CDS réallouent l'exposition des investisseurs au risque de crédit. Nous montrons que les CDS augmentent le risque de portefeuille des investisseurs, avec un effet plus fort pour les « dealers » et les fonds d'investissement que pour les banques.

Pour guider notre analyse, nous construisons une méthodologie pour caractériser les stratégies des investisseurs par investisseur et par période. Cette méthodologie utilise le signe, le ratio et la séquence des positions appariées de dette et de CDS pour inférer le motif d’échange de l’investisseur. Les investisseurs utilisent des CDS pour trois raisons principales : l'arbitrage, la couverture et la spéculation. Les « arbitrageurs » prennent des positions opposées sur les CDS et la dette pour profiter des écarts de prix relatifs entre ces deux instruments. Comme le montre la figure 1, cette stratégie est anecdotique et représente 2 % des achats de CDS (barre rouge foncé) et 0,02 % des ventes de CDS. Les « hedgers » utilisent les CDS comme un produit d'assurance pour réduire l'exposition à la dette correspondante, soit en réaction à des chocs, soit pour maintenir des relations de crédit. La couverture ne représente que 13 à 19 % des achats de CDS (barre rouge), les autres types d'achats de CDS compensatoires s'élevant à 8 %. Enfin, les spéculateurs utilisent les CDS comme un moyen alternatif d'amplifier l'exposition à la dette ou d'obtenir une exposition sans détenir la dette sous-jacente. La distribution des stratégies implique d’ores et déjà que l'effet des CDS sur le risque des portefeuilles individuels dépend principalement des stratégies spéculatives, les barres bleues de la figure 1.

Nous constatons d'abord que les CDS diminuent la concentration des expositions, les « hedgers » achetant des CDS pour couvrir leurs plus grandes expositions, et les spéculateurs vendant des CDS lorsqu'ils détiennent relativement peu de dette sous-jacente. Cependant, comme les « hedgers » ne représentent qu'une petite fraction des achats de CDS, leur impact sur le risque global des portefeuilles reste modéré. Dans l'ensemble, les CDS diminuent la concentration des expositions des investisseurs, telle que mesurée par l'indice Herfindahl-Hirschmann (HHI) ou le coefficient de Gini. Les stratégies spéculatives contribuent à cette baisse, tandis que les stratégies de couverture ont un effet moindre en raison de la diminution des ratios de couverture à la marge intensive. Enfin, la diversification des expositions par la spéculation a un effet limité sur la diversification des rendements puisque cette spéculation augmente la concentration des expositions par pays et secteur.

Deuxièmement, nous cherchons à savoir si les CDS influencent l'exposition au risque des investisseurs. Nous constatons que l'utilisation des CDS pour la spéculation à l’achat de CDS augmente avec le risque de l’entité de référence pour les banques et les fonds d'investissement. De même, les investisseurs couvrent davantage leurs expositions les plus risquées, ce qui devrait être bénéfique pour le risque de leur portefeuille. La non significativité des résultats pour les « dealers » est cohérente avec leur rôle d'intermédiaire dans ces transactions, répondant à la demande plutôt que l'orientant. Cependant, les incitations des banques et des « dealers » à vendre des CDS augmentent avec le risque de l’entité de référence, ce que nous n'observons pas pour les fonds. Une explication pour les « dealers » est à nouveau la demande plus forte de couverture lorsque le risque sous-jacent est plus élevé. Comme l'avantage en marge des CDS par rapport à la la dette augmente avec le risque de référence, nos résultats montrent aussi que les banques et les « dealers » peuvent en tirer davantage parti que les fonds, probablement en raison des contraintes en capital auxquelles ils sont soumis.

Dans l'ensemble, la comptabilisation des CDS peut avoir un effet ambigu sur le risque de portefeuille. Les investisseurs peuvent utiliser les CDS pour diversifier leurs expositions sous-jacentes, mais ils peuvent aussi les utiliser pour s'exposer à des références plus risquées. Dans la dernière section, nous montrons que la prise en compte des CDS se traduit par un risque de portefeuille plus élevé pour tous les secteurs, l'augmentation étant plus forte pour les « dealers » et les fonds d'investissement. L'augmentation du risque de portefeuille est due aux stratégies spéculatives, à la fois sur les positions longues et courtes. Les stratégies de couverture l'atténuent mais ne représentent qu'une faible part des stratégies.

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Document de travail n°860 : « Credit Default Swaps » et réallocation du risque de crédit
  • Publié le 17/01/2022
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Mis à jour le : 17/01/2022 18:23