Document de travail n°874 : Catastrophes naturelles et instabilité financière : la réglementation macroprudentielle peut-elle dompter les cygnes verts ?

Nous étudions empiriquement l'impact des catastrophes naturelles sur la prime de financement externe (PFE), conditionnellement à la rigueur de la réglementation macroprudentielle. L'intensité des catastrophes naturelles est mesurée par des indicateurs géophysiques, sur un échantillon de 88 pays et pour la période 1996-2016. En utilisant la méthode des projections locales, nous montrons que, suite à des tempêtes, la PFE augmente (diminue) de manière significative lorsque le cadre macroprudentiel est laxiste (rigoureux). Cela suggère que les systèmes financiers rigoureusement régulés favoriseraient le remplacement du capital détruit par du capital plus productif à des conditions de financement relativement avantageuses. La politique macroprudentielle semble être moins cruciale pour ce qui concerne l’impact financier des inondations, dont la prévisibilité pousserait à l'autodiscipline.

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Comme de nombreux acteurs économiques, les banques et les institutions financières non bancaires sont exposées et vulnérables aux chocs liés au changement climatique. Ces chocs, parfois qualifiés de « cygnes verts », sont des risques climatiques d’une gravité importante, qui se manifestent avec une fréquence croissante. Si leur impact sur l’économie réelle est aujourd’hui largement reconnu, leurs effets sur la sphère financière restent largement inexplorés. Parallèlement, les chocs et les crises financières récurrentes ont motivé la mise en œuvre de mesures macroprudentielles. Bien que ces politiques aient été introduites indépendamment de l'importance croissante des risques financiers liés au climat, elles pourraient aider à y faire face.

Dans ce contexte, l'objectif de cet article est d'étudier l'impact financier des catastrophes naturelles (CN) et d'évaluer empiriquement si un cadre macroprudentiel rigoureux en atténue les effets.

D’après la littérature sur les frictions et les crises financières, les tensions financières peuvent être perçues comme une aggravation des asymétries d'information dans l'activité de prêt, donnant lieu à une hausse des primes d'agence et de risque. Dans cette veine, nous mettons en évidence différents canaux par lesquels les CN peuvent causer des tensions financières : effets de richesse négatifs, détérioration des bilans des banques et des emprunteurs, augmentation des risques de crédit et du risque souverain. La transmission et l'amplification des effets des CN par ces mécanismes pourraient néanmoins être atténuées par un cadre macroprudentiel restrictif, caractérisé par un endettement privé maîtrisé, et par des banques confortablement capitalisées et disposant suffisamment de liquidités. A l’opposé, tout choc impactant les actifs financiers ou réels (possiblement collatéralisés) pourrait avoir plus de répercussions dans un contexte où la réglementation macroprudentielle est absente ou laxiste.

Pour estimer l'impact financier des catastrophes naturelles conditionnellement au degré de rigueur du cadre macroprudentiel, nous utilisons la méthode des projections locales (LP). Dans ce cadre, les tensions financières sont mesurées par les mouvements de prime de financement externe (PFE), définie comme l'écart entre le taux sur les prêts bancaires et le taux d'intérêt sans risque. Les CN sont appréhendées à l’aune de leur intensité géophysique, telle que mesurée par des stations météorologiques et des satellites. Nous nous concentrons sur les tempêtes et les inondations, qui sont les deux événements climatiques les plus fréquents et les plus dommageables. Enfin, notre mesure de rigueur prudentielle correspond au nombre d'instruments macroprudentiels qui sont effectivement mis en œuvre au sein de chaque pays.

Nos résultats, fondés sur un panel de 88 pays et sur la période 1996-2016, montrent que les tempêtes ont effectivement un impact significatif sur la PFE. Comme le montre le graphique 1 ci-dessous, cet impact est sensible à la rigueur du cadre macroprudentiel. Selon nos estimations, un pays relativement petit (correspondant au premier quartile de la distribution de la taille des pays) et doté d'un cadre macroprudentiel laxiste subirait une plus forte hausse de PFE - de 44 points de base (pb) - deux ans après un ouragan de type Katrina (Point A sur le graphique 1). Notons que cette détérioration des conditions de financement persiste au-delà de trois ans, ce qui suggère un impact global important à long terme. De surcroît, nous constatons que cet impact croit dans le temps : lorsque nous nous concentrons uniquement sur la décennie la plus récente de notre échantillon, la hausse estimée de la PFE atteint 219 points de base (Point B). A l’opposé, un même petit pays doté d'un cadre macroprudentiel rigoureux bénéficierait d'une baisse de la PFE d'environ 67 points de base (Point C) deux ans après un ouragan de catégorie 5. L'ampleur de cette baisse ne semble pas être influencée par la période d'estimation.

Une explication possible de la diminution du spread de taux dans le cas d'un cadre macroprudentiel strict est qu'un environnement financier initialement sain favorise le financement, dans des conditions favorables, du remplacement du capital détruit par du capital plus productif. Des investigations complémentaires suggèrent que cette baisse du coût de financement est surtout observée pour les pays à revenu intermédiaire, dont on peut supposer qu'ils ont une capacité d'absorption suffisante pour exploiter pleinement de nouvelles installations. Au contraire, les conditions de crédit se dégradent dans les pays à faible revenu, après une tempête, quelle que soit la rigueur de leur cadre macroprudentiel. Enfin, les pays à revenu élevé dotés d'une politique macroprudentielle rigoureuse ne bénéficient pas de baisse de la PFE, possiblement parce que le remplacement du capital détruit n’implique guère de saut technologique, le capital détruit étant déjà très productif. Il n’empêche, ces pays supportent une légère augmentation de la PFE en cas de politique macroprudentielle laxiste.

Enfin, nos résultats concernant les effets financiers des inondations ne sont pas concluants. Comme les inondations sont généralement localisées le long des rivières et des côtes, elles sont plus prévisibles. Cela peut donc induire une discipline spontanée (stratégies d’évitement du risque) et une plus grande couverture assurancielle, qui rendraient moins décisif l’apport des mesures macroprudentielles.

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Document de travail n°874 : Catastrophes naturelles et instabilité financière : la réglementation macroprudentielle peut-elle dompter les cygnes verts ?
  • Publié le 25/05/2022
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Mis à jour le : 12/12/2022 13:46