Document de travail n°875 : Une communication des banques centrales adaptée à la situation économique et aux anticipations hétérogènes

Cet article étudie comment la communication des banques centrales, conçue en fonction de la situation économique, peut améliorer le bien-être social lorsque des externalités sont en jeu. Dans le modèle, un banquier central (BC) persuasif veut influencer les anticipations du secteur privé, qui sont hétérogènes, afin d'engendrer un biais à la hausse dans leurs actions. La BC peut engendrer un tel biais dans les actions du secteur privé en fournissant un signal public, plus précisément en choisissant une stratégie de signalisation qui soit une fonction des fondamentaux de l’économie. Pour modéliser cette stratégie de communication optimale, j'introduis des croyances a priori hétérogènes dans un modèle de persuasion bayésienne standard à la Gentzkow et Kamenica (2011) et je caractérise comment la communication optimale dépend de l'hétérogénéité des croyances. Je montre que l'hétérogénéité importe de deux façons : il est optimal d'envoyer des signaux modérateurs, ce qui implique d'envoyer des signaux avec des probabilités d'erreur positives dans les deux états, et cela constitue un écart important par rapport au cas de croyances homogènes ; une plus grande dispersion des croyances conduit la BC à envoyer des signaux avec des probabilités d'erreur plus faibles. J'applique ce cadre d’analyse à un problème de communication des banques centrales dans lequel elles communiquent sur les conditions économiques pour influencer les décisions d'investissement des entreprises en présence d'externalités d'investissement. Je valide empiriquement les prédictions du modèle en montrant que les prévisions du taux de chômage du FOMC sont systématiquement biaisées dans des directions opposées lors des récessions et des expansions. De plus, conformément aux prédictions du modèle, les biais de prévision sont décroissants en fonction du degré de désaccord du secteur privé pour chaque état de l’économie.

Les banques centrales doivent-elles toujours révéler en toute transparence l'état de l'économie pour orienter les attentes du secteur privé ? Ou leur stratégie de communication devrait-elle plutôt dépendre de l'état de l'économie ? Comment persuader un public hétérogène ?  Dans certains cas, les banques centrales peuvent vouloir utiliser la communication de manière stratégique pour orienter les attentes, notamment si l'économie est frappée par un choc inefficace ou temporaire lié aux coûts, ou pour corriger un manque de coordination du secteur privé en présence d'externalités.  Christine Lagarde, dans une conférence de presse récente, le 9 septembre 2021, souligné la temporalité de l’inflation: « L'inflation a augmenté à 3,0 % en août [...] Cette remontée temporaire de l'inflation [...] Les nouvelles projections du personnel prévoient une inflation annuelle de 2,2 % en 2021, de 1,7 % en 2022 et de 1,5 % en 2023... » De la même manière, Ben Bernanke (Fed), au début de la Grande Récession, a avoué qu'il « n'était pas prêt à utiliser le mot « r » [récession] en public à ce moment-là, même si le risque de ralentissement était clairement significatif. [...] [Il] ne voulait pas ajouter inutilement à la morosité ambiante en parlant d'une économie en baisse » (Bernanke dans "The courage to Act : a memoire of the crisis and its aftermath").

Cet article étudie ces questions en modélisant la manière dont une banque centrale peut améliorer le bien-être en concevant une stratégie de communication qui soit dépendante de l'état (c'est-à-dire qui varie en fonction de l'état de l'économie) et fonction du désaccord dans les attentes, lorsque des externalités sont en jeu (par exemple, des complémentarités d'investissement, ou lorsqu'un choc inefficace frappe l'économie, tel qu'un choc inflationniste lié à une hausse des coûts). Pour ce faire, j'introduis des prieurs hétérogènes dans un modèle de persuasion bayésienne à la Gentzkow et Kamenica (2011) pour étudier comment persuader des agents rationnels en contrôlant leur environnement informationnel en fonction de l'état, et comment l'hétérogénéité des croyances influence cette stratégie de communication.
Le modèle aboutit à trois recommandations politiques : (i) une certaine opacité dans les deux états (par exemple, récession, expansion) est optimale de sorte que la communication va jouer un rôle modérateur (cela signifie que la BC devrait parfois être indûment optimiste dans les mauvais états, c'est-à-dire envoyer un bon signal dans un mauvais état avec une probabilité positive, et pessimiste dans les bons états, c'est-à-dire envoyer un mauvais signal dans un bon état avec une probabilité positive) ; (ii) une transparence complète n'est jamais optimale ; (iii) plus de désaccord préalable dans l'économie conduit à une plus grande transparence.

En utilisant un exemple de communication, les prévisions du taux de chômage du FOMC, cela signifierait une sur-prédiction du chômage en expansion, mais une sous-prédiction en récession, mais d'autant moins que le désaccord du secteur privé est élevé, comme l'illustre la figure 1. Je montre qu'empiriquement, ils sont systématiquement biaisés dans des directions opposées lors des récessions et des expansions, en accord avec les recommandations politiques. Toujours en accord avec les recommandations du modèle, les biais des prévisions sont décroissants en fonction du degré de désaccord du secteur privé dans les récessions et les expansions. Un exercice similaire sur les prévisions du personnel de la BCE ne suggère aucune dépendance d'état des biais des prévisions.

Télécharger la version PDF du document

publication
Document de travail n°875 : Une communication des banques centrales adaptée à la situation économique et aux anticipations hétérogènes
  • Publié le 02/06/2022
  • 48 page(s)
  • EN
  • PDF (1.91 Mo)
Télécharger (EN)

Mis à jour le : 02/06/2022 09:38