Document de travail

L’impact à long terme des aides au logement sur le secteur locatif : l’exemple français

Mise en ligne le 23 Septembre 2022
Auteurs : Céline Grislain-Letrémy, Corentin Trevien

Document de travail n°886. Dans de nombreux pays, les aides au logement versées aux locataires sont l’un des principaux outils de la politique du logement mais ont un impact inflationniste à court terme. Pour la première fois, en prenant l’exemple français, nous évaluons l’impact à long terme des aides au logement sur le prix, la quantité et la qualité dans le secteur locatif privé. Nous montrons que les aides au logement ont un impact global à la hausse sur les loyers à long terme, même pour les locataires qui ne bénéficient pas des subventions. Cet impact inflationniste s’accompagne d’une augmentation de la quantité de logements locatifs ; aucun impact sur la qualité n’est détecté. Ces effets sont hétérogènes. Pour les petits logements, quelques années après l’extension des aides, les loyers ont cessé d’augmenter significativement et la quantité de logements d’une pièce, y compris des nouvelles constructions, a augmenté.

Image Tableau 1: Effet des aides au logement sur la période 2000 -2016

Les aides au logement sont l'un des principaux outils de la politique du logement dans de nombreux pays développés. Ces subventions visent à limiter le poids du logement dans le budget des locataires et à améliorer leurs conditions de logement pour un poids budgétaire donné. En théorie, leur introduction peut entraîner une augmentation de la demande globale de logements, et donc des loyers, du moins à court terme, lorsque l'offre de logements est considérée comme faiblement élastique. Dans ces conditions, l'allocation logement serait en partie captée par les propriétaires. À long terme, les loyers et plus généralement l'équilibre dépendent de l'élasticité de l'offre. L'offre peut augmenter de manière extensive par un nombre croissant de logements ou de manière intensive par une amélioration de leur qualité. L'offre de logements locatifs peut toutefois rester partiellement inélastique, par exemple si les autorités locales mettent en œuvre des politiques restrictives d'utilisation des sols.

Dans de nombreux pays, plusieurs études empiriques concordantes ont déjà mis en évidence et mesuré l'effet inflationniste à court terme des aides au logement ciblant les locataires. L'objectif de cet article est de tester l'hypothèse de l'inélasticité de l'offre de logements locatifs en mesurant l'effet à long terme des aides au logement sur les loyers, la quantité et la qualité des logements locatifs privés, en prenant l'exemple français.

Pour mesurer l'effet à long terme des aides au logement, nous comparons des agglomérations similaires recevant des aides plus ou moins importantes depuis la réforme des aides au logement dans les années 1990, qui a fortement augmenté le nombre de bénéficiaires. Nous ne trouvons pas d'effet significatif des aides au logement sur les loyers dans les années 1980, lorsque les dépenses pour les aides au logement étaient plus faibles, tandis que nous mettons en évidence que les aides au logement ont provoqué une augmentation des loyers dans les deux décennies suivant la réforme (de 1995 à 2016), avec un effet plus fort à court terme (sur la période 1995-1999). Entre 2000 et 2016, nous montrons que les aides au logement ont un effet globalement à la hausse sur les loyers, même pour les locataires qui ne bénéficient pas de subventions. Cet effet positif sur les loyers se maintient avec une ampleur constante lorsqu'on subdivise la période d'étude 2000-2016 en deux sous-périodes (2000-2008 et 2009-2016). Cet effet inflationniste s'accompagne d'une augmentation de la quantité des locations privées ; aucun effet sur la qualité n'est détecté (voir le tableau 1 pour un résumé des résultats).

Nous montrons que cet effet inflationniste de long terme est hétérogène et s'accompagne de réactions différentes sur le marché du logement, selon les segments de marché. Pour les logements de trois pièces ou plus, l'offre de logements locatifs est restée inélastique en qualité et en quantité et la hausse des aides au logement a conduit à une augmentation durable des loyers entre 2000 et 2016. Pour les logements d'une ou deux pièces, au contraire, les loyers ont cessé d'augmenter de manière significative entre 2000 et 2016 (après leur hausse entre 1995 et 1999) et la quantité de locations privées d'une pièce a augmenté en 1999, 2006 et 2016, en particulier pour les nouvelles constructions. Notre constat peut s’expliquer par l'arrivée d'un plus grand nombre d'étudiants sur les marchés du logement où les subventions sont plus élevées. Pour les petits logements, le marché du logement a répondu à cette augmentation de la demande par une augmentation de l'offre en quantité. L'offre de locations d'une pièce est probablement la plus élastique, car les propriétaires qui optent pour l'investissement locatif sont plus facilement solvables pour acheter un petit logement ou, s'ils sont très aisés, préfèrent diversifier leurs risques en achetant plusieurs petits logements.