Document de travail n°687 : Mauvais souverain ou mauvais bilans ? Fragmentation du marché interbancaire de la zone euro et politique monétaire, 2011-2015

Dans cette étude, Silvia Gabrieli and Claire Labonne analysent l’importance relative du risque souverain et du risque de crédit dans la fragmentation du marché interbancaire de la zone euro de 2011 à 2015. Elles combinent des données granulaires de prêts interbancaires avec les expositions transfrontalières et intersectorielles des banques emprunteuses. Cela leur permet d’étudier l’impact du risque de crédit au bilan des banques sur leur accès au marché interbancaire et sur le prix de la liquidité, tout en contrôlant le risque souverain et les chocs de liquidité des prêteurs. Elles constatent que : (i) des ratios élevés de créances douteuses dans le portefeuille d’actifs GIIPS entravent l'accès des banques au marché interbancaire tout au long de la période d’analyse ; (ii) à partir de mi-2011 jusqu'à l'annonce de l'OMT, plus l’exposition des banques aux souverains GIIPS est grosse, plus les taux d’intérêt de leurs prêts interbancaires sont élevés ; (iii) l'OMT a réussi à fermer ce canal de transmission transfrontalière de choc ; il a réduit autant la fragmentation liée au risque souverain que celle due au risque de crédit.

La fragmentation du marché interbancaire peut avoir des coûts de bien-être importants : en affectant la capacité de financement des banques, elle peut entraver la bonne transmission de la politique monétaire et restreindre ainsi l'octroi de crédit à l'économie réelle. Dans la zone euro, la fragmentation interbancaire a été alimentée par le lien entre les banques et les souverains : dans les pays périphériques (Grèce, Irlande, Italie, Portugal, Espagne et Chypre ou GIIPS), les banques ont été affectées par les problèmes d'endettement de leurs gouvernements et vice-versa.

Nous pouvons distinguer deux sources de fragmentation dans la zone euro. Premièrement, alors que les banques peuvent fournir librement des services financiers dans tous les pays membres, leurs souverains domestiques sont les premiers responsables de leur renflouement en cas de faillite. Le financement des banques pourrait donc être affecté négativement par le risque souverain du pays d'origine. C'est la source souveraine de fragmentation. Deuxièmement, même si les banques peuvent servir l'ensemble du marché européen, elles sont principalement exposées à leur économie nationale, ce qui fait dépendre la qualité du bilan des conditions économiques locales. Il s'agit de la source de fragmentation basée sur le risque de crédit au bilan. En effet, lorsque le risque systémique est élevé et que la contagion est très probable, comme en 2011-2015, les prêteurs pourraient réagir au risque pays plutôt qu'au risque idiosyncratique de contrepartie.

Comme le montre la figure, tout au long de 2011-2015, les banques ayant leur siège dans des pays périphériques ont payé en moyenne des taux d’intérêt (pondérés des volumes) plus élevés que les banques non périphériques. L'écart était particulièrement important en décembre 2011, avant la première opération de refinancement à trois ans de l'Eurosystème, et en août 2012, avant l'annonce du programme d’opérations monétaires sur titres (OMT).

Cet article aborde les questions de recherche suivantes. Qu'est-ce qui détermine l'accès et les taux d'intérêt servis sur le marché interbancaire de la zone euro en 2011-2015, quels facteurs sont pris en compte par les prêteurs ? Quelle est l’importance relative du risque de crédit des actifs au bilan par rapport au risque de dépendance au souverain domestique (en raison de la garantie implicite de renflouement souverain) ? Comment les conditions de prêt sur le marché interbancaire interagissent-elles avec la politique monétaire ?

Nous fournissons un modèle théorique simple pour analyser les effets du risque de crédit et du risque souverain sur l'accès au marché interbancaire et sur les taux d'intérêt. Le modèle tient compte de l'interaction entre les conditions des prêts interbancaires et la fourniture de liquidité par la banque centrale, y compris par le biais de politiques monétaires non conventionnelles. Nous testons ensuite les prédictions du modèle à l'aide de données granulaires sur les prêts interbancaires et sur les expositions transfrontalières et intersectorielles des banques emprunteuses.

Nous soulignons trois résultats. Premièrement, toutes choses égales par ailleurs, des ratios élevés de créances douteuses (NPL) sur les actifs GIIPS entravent l'accès des banques non périphériques au marché interbancaire pendant les trois périodes de politique monétaire : des ratios de NPL plus élevés sur les actifs GIIPS diminuent la probabilité de trouver un prêteur sur le marché. Deuxièmement, à partir de mi-2011 et jusqu'à l’annonce de l'OMT, plus l’exposition d’une banque non périphérique aux souverains GIIPS est grosse, plus les taux d’intérêt de leurs prêts interbancaires sont élevés. Mais l'OMT ferme ce canal de transmission des chocs. En fait, après l'annonce de l'OMT, l'effet de sélection dû aux NPL élevés sur les actifs GIIPS, bien qu'il soit encore significatif, devient beaucoup plus faible. Troisièmement, l'annonce de l'OMT a permis de réduire à la fois la fragmentation liée au risque souverain et celle due au risque de crédit : l’OMT a réduit les primes de risque-pays payées par les emprunteurs GIIPS, mais a également affecté la prise en compte du risque de contrepartie par les prêteurs.

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Document de travail n°687 : Mauvais souverain ou mauvais bilans ? Fragmentation du marché interbancaire de la zone euro et politique monétaire, 2011-2015
  • Publié le 01/08/2018
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Mis à jour le : 02/08/2018 08:52