Bulletin économique de la BCE n°3/2020

Évolutions économiques et monétaires récentes

Synthèse
 

La zone euro fait face à une contraction de son économie d’une ampleur et d’une rapidité sans précédent en temps de paix. Les mesures prises pour contenir la propagation du coronavirus (COVID-19) ont largement interrompu l’activité économique dans tous les pays de la zone euro et à travers le monde. Les indicateurs de la confiance des consommateurs et des chefs d’entreprise se sont effondrés, suggérant une nette contraction de la croissance économique et une profonde détérioration de la situation sur les marchés du travail. Au vu de la forte incertitude concernant l’ampleur totale des retombées économiques, les scénarios de croissance élaborés par les services de la BCE indiquent que le PIB de la zone euro pourrait reculer de 5 % à 12 % cette année, en fonction essentiellement de la durée des mesures d’endiguement et de la réussite des politiques d’atténuation des conséquences économiques pour les entreprises et les travailleurs. Ces scénarios tablent sur une reprise de l’activité économique avec la levée progressive des mesures d’endiguement, mais à un rythme et dans des proportions qui restent très incertains. L’inflation s’est ralentie en raison de la chute des prix du pétrole et d’une hausse un peu plus faible de l’IPCH hors énergie et produits alimentaires.

Déterminé à continuer de soutenir l’économie de la zone euro dans le contexte actuel de perturbations économiques et d’incertitude accrue, le Conseil des gouverneurs a décidé d’assouplir encore les modalités des opérations de refinancement à plus long terme ciblées (TLTRO III) et de conduire une nouvelle série d’opérations de refinancement à plus long terme d’urgence face à la pandémie (pandemic emergency longer-term refinancing operations, PELTRO). En outre, les achats sont réalisés dans le cadre du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (pandemic emergency purchase programme, PEPP) et les achats nets se poursuivent dans le cadre du programme d’achats d’actifs (asset purchase programme, APP) au rythme mensuel de 20 milliards d’euros, de même que les achats au titre de l’enveloppe supplémentaire temporaire de 120 milliards d’euros, jusqu’à la fin de l’année. Conjuguées à la forte relance monétaire actuellement en place, ces mesures favoriseront les conditions de liquidité et de financement et contribueront à préserver la fluidité de la fourniture de crédit à l’économie réelle. Dans le même temps, le Conseil des gouverneurs devra constamment évaluer les mesures, de façon individuelle et dans leur ensemble, afin de déterminer si elles sont toujours correctement calibrées et d’ampleur suffisante pour fournir le degré de soutien nécessaire à la réalisation de son objectif de stabilité des prix.

L’épidémie de coronavirus et les mesures d’endiguement qui ont été prises pour y faire face ont paralysé l’économie et le commerce à l’échelle mondiale. Les derniers indicateurs tirés d’enquêtes font état d’une forte contraction de l’activité mondiale au premier semestre 2020. Au premier trimestre 2020, la Chine a enregistré son taux de croissance le plus faible depuis des décennies, tandis que l’impact de la pandémie dans d’autres grandes économies devrait être particulièrement visible au deuxième trimestre. Le commerce mondial a également nettement diminué, selon les estimations, en raison de la perturbation des chaînes d’approvisionnement et du choc de demande généralisé. Dans le même temps, face à la rapide détérioration attendue de l’activité et du commerce à l’échelle mondiale, les autorités du monde entier ont pris des mesures énergiques. Les tensions inflationnistes mondiales devraient encore s’atténuer sous l’effet à la fois de la chute des prix du pétrole et de la faiblesse de la demande.

Depuis la réunion du Conseil des gouverneurs début mars 2020, les rendements souverains à long terme ont augmenté dans un contexte de volatilité et le prix des actifs risqués a diminué. La propagation du coronavirus et le confinement dans de nombreuses économies ont exercé d’énormes tensions sur les marchés financiers de la zone euro. Toutefois, plusieurs mesures prises par les autorités ont contribué à calmer les marchés, entraînant une inversion de la tendance négative de la plupart des prix d’actifs. La courbe des taux à terme de l’Eonia s’est légèrement déplacée vers le haut, les marchés ne prévoyant plus de réduction imminente du taux de la facilité de dépôt. Sur les marchés des changes, l’euro s’est légèrement affaibli en termes pondérés des échanges commerciaux.

Les derniers indicateurs économiques et résultats d’enquêtes couvrant la période à partir de laquelle le coronavirus a commencé à se propager dans la zone euro enregistrent un recul sans précédent, signalant une contraction significative de l’activité économique de la zone euro et une détérioration rapide de la situation sur les marchés du travail. La pandémie de coronavirus et les mesures d’endiguement associées ont fortement perturbé le secteur manufacturier et les services, pesant lourdement sur les capacités productives de l’économie de la zone euro et sur la demande intérieure. Au premier trimestre 2020, qui n’a que partiellement été affecté par la propagation du coronavirus, le PIB en volume de la zone euro s’est contracté de 3,8 %, en rythme trimestriel, sous l’effet des mesures de confinement au cours des dernières semaines du trimestre. Le net ralentissement de l’activité économique en avril donne à penser que les retombées négatives seraient encore plus marquées au deuxième trimestre. Compte tenu de la grande incertitude quant à la durée de la pandémie, il est difficile de prévoir l’ampleur et la durée de la récession en cours et de la reprise qui s’ensuivra [1]. La zone euro devrait retrouver la croissance avec la levée progressive des mesures d’endiguement, soutenue par les conditions de financement favorables, l’orientation budgétaire de la zone euro et une reprise de l’activité mondiale. Toutefois, l’ampleur de la contraction et de la reprise dépendront essentiellement de la durée et de la réussite des mesures d’endiguement, du degré de dégradation permanente des capacités de l’offre et de la demande intérieure ainsi que du succès des politiques d’atténuation des conséquences néfastes sur les revenus et sur l’emploi.

Selon l’estimation rapide d’Eurostat, la hausse annuelle de l’IPCH dans la zone euro est revenue de 0,7 % en mars à 0,4 % en avril, principalement en raison de la baisse des prix de l’énergie, mais aussi d’une hausse un peu plus faible de l’IPCH hors énergie et produits alimentaires. Sur la base de la forte baisse des prix actuels du pétrole et des prix des contrats à terme sur le pétrole, l’inflation totale devrait continuer de décélérer considérablement au cours des prochains mois. Le net ralentissement de l’activité économique devrait avoir des effets négatifs sur l’inflation sous-jacente dans les mois à venir. Cependant, les conséquences à moyen terme de la pandémie de coronavirus pour l’inflation sont entourées d’une grande incertitude étant donné que les pressions à la baisse liées à l’affaiblissement de la demande pourraient être en partie compensées par des tensions à la hausse liées la perturbation des chaînes d’approvisionnement. Les indicateurs de marché des anticipations d’inflation à plus long terme sont demeurés à de très faibles niveaux. Si les indicateurs des anticipations d’inflation tirés des enquêtes se sont détériorés à court et moyen terme, les anticipations à plus long terme ont varié moins fortement.

S’agissant des évolutions monétaires, la croissance de la monnaie au sens large (M3) s’est accélérée, s’établissant à 7,5 % en mars 2020, après 5,5 % en février. La croissance de M3 reste soutenue par la création de crédit bancaire au secteur privé et l’agrégat monétaire étroit M1 a continué d’apporter la principale contribution à la croissance de la monnaie au sens large. Les évolutions des prêts au secteur privé ont également été influencées par les effets du coronavirus. Le taux de croissance annuel des prêts aux ménages s’est élevé à 3,4 % en mars 2020, contre 3,7 % en février, tandis que le taux de croissance annuel des prêts aux sociétés non financières a été de 5,4 % en mars, après 3,0 % en février. Les résultats de l’enquête sur la distribution du crédit bancaire dans la zone euro pour le premier trimestre 2020 indiquent également une hausse de la demande des entreprises pour les prêts et le tirage de lignes de crédit afin de répondre à leurs besoins en fonds de roulement, alors que les besoins de financement au titre de la formation brute de capital fixe ont diminué. Les critères d’octroi des crédits se sont durcis, légèrement pour les entreprises, plus fortement pour les ménages. Parallèlement, les banques s’attendent à un assouplissement des critères d’octroi des prêts aux entreprises au deuxième trimestre 2020. Les mesures de politique monétaire du Conseil des gouverneurs, en particulier les conditions plus favorables des TLTRO III et les mesures d’assouplissement des garanties, devraient inciter les banques à consentir des prêts à l’ensemble des entités du secteur privé.

Après recoupement des résultats de l’analyse économique et des signaux provenant de l’analyse monétaire, le Conseil des gouverneurs a confirmé qu’un degré élevé de soutien monétaire était nécessaire pour assurer la convergence durable de l’inflation vers des niveaux inférieurs à, mais proches de 2 % à moyen terme.

Sur la base de cette évaluation, le Conseil des gouverneurs a décidé d’assouplir encore les modalités des opérations TLTRO III de la BCE, afin de soutenir encore davantage l’accès au crédit des ménages et des entreprises dans le contexte actuel de perturbations économiques et d’incertitude accrue, atténuant ainsi le choc du coronavirus sur les conditions de crédit. Le Conseil des gouverneurs a, plus spécifiquement, décidé d’abaisser le taux d’intérêt sur les opérations TLTRO III, pendant la période allant de juin 2020 à juin 2021, à un niveau inférieur de 50 points de base au taux moyen des opérations principales de refinancement de l’Eurosystème en vigueur sur la même période. De plus, pour les contreparties dont le montant net de prêt éligibles atteint le seuil de performance de 0 % en matière d’octroi de prêts, le taux d’intérêt sur la période allant de juin 2020 à juin 2021 sera désormais inférieur de 50 points de base au taux moyen de la facilité de dépôt en vigueur sur la même période [2].

Le Conseil des gouverneurs a également décidé de conduire une nouvelle série d’opérations de refinancement à plus long terme non ciblées d’urgence face à la pandémie (PELTRO) en vue de soutenir les conditions de la liquidité dans le système financier de la zone euro et de contribuer à préserver le bon fonctionnement des marchés monétaires en fournissant un filet de sécurité effectif. Les opérations PELTRO consistent en sept opérations de refinancement supplémentaires, qui seront menées à partir de mai 2020 et arriveront à échéance progressivement entre juillet et septembre 2021, ce qui correspond à la durée des mesures d’assouplissement des garanties du Conseil des gouverneurs. Elles seront effectuées par voie d’appels d’offres à taux fixe, la totalité des soumissions étant servies, à un taux d’intérêt inférieur de 25 points de base au taux moyen des opérations principales de refinancement sur la durée de chaque opération PELTRO [3].

Depuis fin mars, le Conseil des gouverneurs a réalisé des achats dans le cadre du nouveau programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP), dont l’enveloppe totale s’élève à 750 milliards d’euros, afin d’assouplir l’orientation globale de la politique monétaire et de contrecarrer les risques élevés que la pandémie de coronavirus fait peser sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire et sur les perspectives de la zone euro. Ces achats vont se poursuivre dans le temps, de façon souple, entre les différentes catégories d’actifs et juridictions. Les achats nets d’actifs au titre du PEPP se poursuivront jusqu’à ce que le Conseil des gouverneurs juge que la crise du coronavirus est terminée, mais, en tout cas, jusqu’à la fin de l’année.

En outre, les achats nets dans le cadre de l’APP de la BCE se poursuivront à un rythme mensuel de 20 milliards d’euros ainsi que les achats au titre de l’enveloppe supplémentaire temporaire de 120 milliards d’euros jusqu’à la fin de l’année. Le Conseil des gouverneurs continue de prévoir d’avoir recours aux achats nets d’actifs mensuels au titre de l’APP aussi longtemps que nécessaire pour renforcer les effets accommodants des taux directeurs dans la zone euro, et d’y mettre fin peu avant de commencer à relever les taux d’intérêt directeurs de la BCE.

Enfin, le Conseil des gouverneurs entend également poursuivre les réinvestissements, en totalité, des remboursements au titre du principal des titres arrivant à échéance acquis dans le cadre de l’APP pendant une période prolongée après la date à laquelle il commencera à relever les taux d’intérêt directeurs de la BCE et, en tout cas, aussi longtemps que nécessaire pour maintenir des conditions de liquidité favorables et un degré élevé de soutien monétaire.

En outre, le Conseil des gouverneurs a décidé de maintenir inchangés les taux d’intérêt directeurs de la BCE et prévoit qu’ils resteront à leurs niveaux actuels ou à des niveaux plus bas jusqu’à ce qu’il ait constaté que les perspectives d’inflation convergent durablement vers un niveau suffisamment proche de, mais inférieur à 2 % sur son horizon de projection, et que cette convergence se reflète de manière cohérente dans la dynamique d’inflation sous-jacente.

Dans l’ensemble, les mesures de politique monétaire décisives et ciblées que le Conseil des gouverneurs a adoptées depuis début mars apportent un soutien crucial à l’économie de la zone euro et particulièrement aux secteurs les plus exposés à la crise. En particulier, ces mesures consolident les conditions de la liquidité et contribuent à maintenir le flux de crédit aux ménages et aux entreprises, en particulier aux petites et moyennes entreprises, et à préserver des conditions de financement favorables pour tous les secteurs et dans toutes les juridictions.

Cela étant, face à l’actuel environnement économique en rapide évolution, le Conseil des gouverneurs reste pleinement engagé à tout mettre en œuvre, dans le cadre de son mandat, pour soutenir tous les citoyens de la zone euro dans cette période extrêmement difficile. Le Conseil des gouverneurs veillera avant tout à ce que la politique monétaire de la BCE soit transmise à toutes les composantes de l’économie et à toutes les juridictions en vue de l’accomplissement de son mandat de maintien de la stabilité des prix. Par conséquent, le Conseil des gouverneurs est entièrement préparé à accroître la taille du programme PEPP et à en ajuster la composition, autant que nécessaire et aussi longtemps que cela sera requis. Dans tous les cas, le Conseil des gouverneurs se tient prêt à ajuster l’ensemble de ses instruments, de façon adéquate, pour assurer le rapprochement durable de l’inflation par rapport à son objectif, conformément à son engagement en faveur de la symétrie.

 

[1]        Pour de plus amples informations concernant les scénarios de croissance produits par les services de la BCE, cf. l’encadré 1 du présent Bulletin économique.

[2]        Pour des informations plus détaillées concernant les nouvelles modalités des TLTRO, cf. le communiqué de presse de la BCE du 30 avril 2020.

[3]        Pour des informations plus détaillées concernant les PELTRO, cf. le communiqué de presse de la BCE du 30 avril 2020.

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Bulletin économique de la BCE n°3/2020
  • Published on 05/14/2020
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Updated on: 05/14/2020 10:00