Alors que semble se dessiner enfin une sortie de la crise Covid, cette Lettre en fait d’abord un premier bilan économique. Le choc 2020 a été sans précédent ; le rebond sur 2021-2022 devrait être en proportion, plus net encore qu’on ne pouvait l’espérer il y a un an. Pourtant l’Europe reste en retard sur les États-Unis : ceci renvoie à une meilleure spécialisation américaine, notamment sur le digital, au moins autant qu’à des stimulus budgétaires certes massifs, mais répondant en partie à des défaillances spécifiques aux États-Unis.
À l’intérieur de la zone euro, l’économie française, après avoir davantage souffert du premier confinement, fait depuis mieux que ses pairs ; elle devrait sur les deux années du rebond connaître une croissance cumulée d’environ 10 %, même dans le cas où le variant Delta provoquerait le retour de certaines restrictions sanitaires. La vaccination reste cependant la meilleure arme pour soutenir l’activité, a fortiori au niveau mondial. Globalement, la réaction des pouvoirs publics français apparaît avoir été la bonne. L’amortisseur budgétaire, à plus de 8 % du PIB en 2020 et encore la moitié de ce montant en 2021, a permis de préserver en moyenne le pouvoir d’achat des ménages et la situation financière des entreprises. Désormais, la priorité n’est plus de dépenser davantage, mais de privilégier la qualité des plans de transformation – en matière de numérique, d’écologie, et surtout de compétences. La force de la reprise se jouera en effet du côté de l’offre, et notamment des possibilités de recrutement, plus encore que de la demande. Il n’est guère de réformes plus essentielles en France que celles augmentant l’offre de travail disponible : par la formation, la réduction du sous-emploi des jeunes et des seniors, le travail rendu plus incitatif.
La politique monétaire de l’Eurosystème, de son côté, a contribué à construire un véritable « pont de financement » en faveur notamment des PME : contrairement aux crises précédentes, les volumes de crédit ont cette fois augmenté, et les taux d’intérêt sont restés très bas. La Banque centrale européenne (BCE) aura ainsi contribué, sur 2020-2022, à la préservation de 2 millions d’emplois.
C’est dans ce contexte que nous sommes allés à la rencontre des Français pour répondre aux questions qu’ils se posent sur la politique monétaire. Cette initiative « La Banque de France à votre écoute » s’est inscrite dans le cadre de la revue de stratégie de la BCE, conclue le 8 juillet. Il y va aussi d’une exigence démocratique, comme de l’efficacité économique. Une politique monétaire mieux comprise sera mieux transmise, y compris aux ménages et aux entreprises.
Nous avons organisé un sondage puis 17 événements, dont un dans chaque région, et touché ainsi 260 000 Français en ligne. Nous avons beaucoup expliqué, mais nous avons aussi beaucoup appris. Et nous nous engageons en conséquence, y compris au niveau de la BCE, à renforcer encore la clarté de notre communication.
C’est notamment à l’aune des attentes croissantes de nos concitoyens que nous devons traiter les grandes questions à venir. Les banques centrales ne peuvent pas tout faire ; il leur faut dire clairement ce qu’elles peuvent et dès lors doivent faire. Le premier défi sera bien sûr la sortie de crise. Les craintes passées sur la « disparition de l’inflation » ont laissé place à celles sur son retour. En Europe au moins, les tensions sur certains prix apparaissent cependant temporaires, et l’inflation devrait revenir vers 1,4 % d’ici à 2023. Une fois sortie de notre programme exceptionnel anticrise (le programme d’achats d’urgence pour faire face à la pandémie – PEPP), la BCE devra donc maintenir une politique monétaire très accommodante, avec son puissant « quatuor » d’instruments non conventionnels. De plus, notre revue stratégique clarifie que notre objectif d’inflation à 2 % est symétrique, et peut être temporairement dépassé.
Un autre défi sera celui de la dette publique, que la Banque centrale ne peut en aucun cas annuler. Le désendettement de la France requerra donc l’addition de trois instruments : le temps ; la croissance, amplifiée par les réformes ; et enfin une meilleure efficacité de nos dépenses publiques, les plus élevées de tous les pays avancés. Notre pays devrait tendre vers une stabilisation de celles-ci en volume, associée à une stabilité fiscale pour donner confiance et visibilité aux acteurs économiques.
Notre revue stratégique marque en outre notre engagement renforcé pour le climat : les banques centrales ne peuvent y remplacer les autres politiques publiques, dont la nécessité d’un juste prix du carbone. Mais nous comptons agir au nom même de notre mandat : en étudiant les effets du climat dans nos projections économiques, en rendant publiques nos expositions climatiques et surtout celles de nos contreparties, en « décarbonant » progressivement notre bilan par le renouvellement de nos opérations. La BCE, avec la Banque de France, sera ainsi pionnière dans le monde.
Le Traité, fondation solide, nous confie comme mission prioritaire la stabilité des prix, pour assurer la confiance dans la monnaie et favoriser une croissance soutenable. La politique monétaire prend pour autant en compte les enjeux sociaux : elle soutient indirectement l’emploi, et diminue ainsi les inégalités de revenus. La Banque centrale est attentive à la montée des prix des actifs financiers à travers sa surveillance renforcée de la stabilité financière. Mais la revue stratégique menée à bien par l’Eurosystème est aussi une invitation à activer la puissance du marché unique, de l’Union bancaire et de l’Union des marchés de capitaux. Dans l’après-pandémie, les « pompiers » efficaces contre la crise Covid doivent être relayés par les architectes, pour renforcer enfin l’Union économique européenne à côté de son Union monétaire.
Mis à jour le : 02/08/2021 15:42