Les économistes s'accordent à dire qu’une taxe carbone constitue la solution la plus efficace pour atténuer le changement climatique. Mais quelle est la position des entreprises de combustibles fossiles sur les taxes carbone? J'ai analysé la communication des 100 plus grandes compagnies pétrolières et gazières sur les taxes carbone. Il est surprenant de constater que 54 % des entreprises exprimant une opinion sur les politiques économiques fondées sur les taxes carbone soutiennent ces dernières (78 % pour les 50 plus grandes). Ce résultat est surprenant, car une taxe carbone efficace devrait réduire les revenus et la valeur des réserves des entreprises de combustibles fossiles. Je présente un modèle conceptuel de trilemme montrant que l'existence des entreprises de combustibles fossiles est menacée par une taxe carbone. Pour comprendre ce paradoxe, je propose des raisons non mutuellement exclusives pour lesquelles les entreprises de combustibles fossiles pourraient soutenir les taxes carbones Les compagnies pétrolières et gazières pourraient utiliser une taxe carbone pour se débarrasser de la concurrence du charbon, créer des conditions de concurrence équitables et éliminer l'incertitude réglementaire. Elles peuvent aussi penser que ces taxes ne les affecteront pas parce que la demande de pétrole et de gaz est inélastique ou que la coordination internationale échouera et entraînera des fuites. Enfin, il se peut qu'il s'agisse simplement d'un exercice de communication et qu'une taxe carbone les aide à déplacer la responsabilité en matière de changement climatique des entreprises de combustibles fossiles vers les clients, les électeurs et les représentants élus.
Les économistes sont rarement d'accord sur les problèmes, mais sur les taxes carbone, ils s'entendent. Ils sont tellement d'accord que 354 économistes, dont de nombreux prix Nobel, ont récemment signé une lettre ouverte soutenant l'introduction d'une taxe carbone. Mais ce qui est plus étonnant, c'est que les entreprises des combustibles fossiles semblent être du même avis. En constituant un nouvel ensemble de données, je constate que le taux d'accord atteint 78 % lorsqu'on examine les 50 plus grandes sociétés pétrolières et gazières qui ont exprimé leur opinion sur la question. Il convient de noter que seulement 60 % des grandes entreprises et 56 % des plus petites avaient une position sur les taxes carbone. Les entreprises russes, par exemple, ne communiquent pas sur le sujet, alors que deux tiers des entreprises canadiennes le font (le Canada a un système de taxe sur le carbone). Je me demande pourquoi les compagnies de combustibles fossiles encouragent si activement l'introduction de taxes sur le carbone. Je propose une étude sur les plus grandes entreprises de combustibles fossiles et d'analyser leur point de vue sur les taxes sur le carbone dans leurs différentes communications. L’article examine tout d’abord un modèle de trilemme conceptuel entre les entreprises de combustibles fossiles et les taxes sur le carbone (cf. figure ci-dessous). Le modèle indique qu’il n’existe que trois options possibles. Une taxe carbone efficace qui réduit les émissions mais aussi les ventes des entreprises de combustibles fossiles. Une taxe carbone inefficace qui est compatible avec la poursuite des ventes pour les entreprises de combustibles fossiles. Ou la transition volontaire des entreprises de combustibles fossiles vers des entreprises d'énergie plus vastes, qui réduiraient les émissions et ne nécessitent pas de taxe sur le carbone. Le modèle, comme tout modèle conceptuel, a ses limites, mais il éclaire la discussion. En analysant les communications d'entreprise des 100 plus grandes sociétés pétrolières et gazières, je présente ensuite quelques preuves quantitatives du soutien actuel des sociétés de combustibles fossiles pour les taxes sur le carbone. Enfin, j'évoquerai plusieurs raisons qui ne s'excluent pas mutuellement et qui expliquent que les compagnies pétrolières soutiennent les taxes sur le carbone, malgré le trilemme montrant qu'elles y voient un inconvénient. Une taxe carbone, affirment les économistes, pourrait augmenter le prix de la pollution (une externalité) et créer une incitation commerciale à émettre moins de CO2. Mais les taxes carbone sont la meilleure solution disponible depuis maintenant quatre décennies et n'ont pas été mises en place de manière à atténuer le changement climatique au niveau mondial. Des taxes régionales ont été introduites au Canada, au Danemark, en Norvège, en Europe avec le système ETS et en Afrique du Sud, entre autres. La Banque mondiale dresse la liste des taxes sur le carbone actuellement en place. À ce jour, 73 taxes sur le carbone sont mises en œuvre dans diverses juridictions, ce qui représente 23 % des émissions mondiales. Pourtant, malgré ces taxes, les émissions mondiales continuent d'augmenter selon le GIEC. Cela ne veut pas dire que les taxes n'ont pas réduit les émissions, mais dans leur forme et leur niveau actuels, elles ne sont pas suffisantes pour s'attaquer à l'augmentation des émissions mondiales, responsables du changement climatique anthropique. Une partie du problème réside dans la coordination internationale et le risque de fuites de carbone. Les économistes travaillent à des solutions pour surmonter ces problèmes de coordination. L'une des propositions récemment débattues réside dans l'instauration de taxes carbone aux frontières. Ces taxes cibleraient les importations en provenance de pays ne disposant pas de taxes sur le carbone, ce qui permettrait de mettre en œuvre des taxes efficaces sur le carbone, sans trop compromettre la compétitivité commerciale de l’UE, avant même que la coordination internationale sur la question soit atteinte. Un exemple prometteur d'une telle taxe frontalière est la proposition du Mécanisme européen d'ajustement carbone à la frontière (CBAM) de la Commission européenne. Le FMI travaille aussi actuellement à un cadre de plancher en carbone qui permettrait à des pays de niveaux de revenus différents d'avoir des taxes sur le carbone différentes. Mais cet article ne se penche pas sur l'économie politique de la mise en œuvre de la taxe carbone. Au lieu de cela, il demande simplement pourquoi les compagnies de combustibles fossiles (ou les compagnies pétrolières et gazières pour être précis) ont récemment pris position publiquement en faveur de taxes sur le carbone. Pourquoi les boulangers feraient-ils pression pour une taxe sur le blé? Là encore, il ne s'agit pas de donner une réponse définitive, mais plutôt de présenter le fait que le soutien est relativement large et de s'aventurer sur quelques explications possibles.
Mis à jour le : 12/09/2023 10:33