Document de travail n°649 : Destruction créatrice et mesure de la croissance

Les statisticiens nationaux ont typiquement recours à des méthodes d’imputation pour mesurer l’inflation dans le cas de produits disparaissant. Ils utilisent pour cela l’évolution des prix des produits survivants ce qui résulte en une surestimation de l’inflation et donc une sous-estimation de la croissance. À l’aide de données du Census américain, nous utilisons deux méthodes pour mesurer l’ampleur de cette croissance manquée sur le secteur privé non agricole entre 1983 et 2013. La première approche utilise des informations sur la part de marché des établissements qui survivent par rapport aux entrants. La seconde approche utilise une méthode d’inférence indirecte à partir de données d’entreprise pour calibrer notre modèle. Les résultats principaux sont : (i) le biais de mesure de la croissance qu’implique cette méthode d’imputation est importante, au moins 0.6 point par an ; (ii) c’est la destruction créatrice qui est principalement responsable de ce biais (par opposition à la création de nouveaux produits).

Alors qu'il est facile de calculer l'inflation pour un ensemble de biens et de services inchangé, il est beaucoup plus difficile de faire la part entre l'inflation  et les améliorations de qualité dans le cas où un bien est remplacé. En 1996, la Commission Boskin avait déjà souligné les biais potentiels dans la façon dont le Bureau of Labor Statistics (BLS)  tient compte des nouveaux produits dans le calcul de l'indice des prix à la consommation (IPC). En particulier, la Commission s'est demandé si le BLS traitait avec précision les produits subissant des changements de modèle par le même producteur (par exemple, les versions successives d’un modèle de voiture) et l’apparition de nouvelles variétés de produits.


Dans cet article, nous proposons un modèle de croissance qui prend en compte les nouveaux produits mais aussi, et plus important encore, les produits qui font l'objet d'une destruction créative. Ce faisant, nous mettons en évidence et quantifions une source supplémentaire, négligée, de biais qui a trait à l'imputation - utilisée par le BLS ainsi que par les bureaux de statistique dans la plupart des autres pays de l'OCDE. La destruction créative implique que les produits quittent le marché parce qu'ils sont éclipsés par un meilleur produit vendu par un nouveau producteur. Une telle sortie forcée est relativement fréquente aux États-Unis. Dans ce cas, la procédure normale consiste à supposer que le taux d'inflation ajusté en fonction de la qualité est le même que pour les autres éléments de la même catégorie que l'office statistique peut suivre dans le temps, c'est-à-dire les produits qui ne sont pas soumis à une destruction créative. Cependant, la destruction créative implique que les nouveaux produits entrent sur le marché parce qu'ils ont un prix (ajusté de leur qualité) qui est  inférieur. Notre étude tente de quantifier le biais qui résulte du recours à l'imputation pour mesurer la croissance de la productivité américaine dans les cas de destruction créative.


Pour caractériser cette croissance manquante, nous élaborons un cadre théorique dans lequel la croissance résulte à la fois des innovations par les entreprises existantes et des innovations par les entrants. Notre modèle génère une expression explicite de la part de la croissance de la PGF qui est manquée lorsque le service statistique recourt à l'imputation en cas de destruction créative. Nous appliquons ce cadre aux données américaines sur l’ensemble des établissements du secteur privé non agricoles du recensement américain afin de quantifier la croissance manquante de l'économie américaine au cours des trois dernières décennies.


Nous estimons que la croissance manquante a été en moyenne de 0,62 % par année entre 1983 et 2013, comme le montre la figure ci-dessus. Cette figure par ailleurs montre bien qu’il n’y a pas de tendance temporelle claire dans ce biais. La croissance manquante équivaut en moyenne à environ un quart de la croissance réelle. Nous mesurons également ce biais de mesure de la croissance dans différents secteurs. Les résultats laissent entendre que la majeure partie de la croissance globale manquante provient des secteurs de la vente et des services (par exemple les soins de santé) plutôt que de l’industrie.


Comme nous ne trouvons pas de tendance temporelle claire dans l'absence de croissance, le biais que nous quantifions ici ne peut expliquer le ralentissement mesuré de la croissance de la productivité. Pourquoi donc nous préoccuper de la croissance manquante relativement constante d'environ 0,62 points par année ? Notre principale conclusion a plusieurs implications pratiques. Premièrement, il suggère des moyens par lesquels les bureaux de statistique pourraient améliorer leur méthodologie. Deuxièmement, si l'on tient compte de la croissance manquante, le résultat selon lequel les idées deviendraient de plus en plus difficiles à trouver n’est pas si clair. Troisièmement, la Réserve fédérale américaine pourrait envisager d'ajuster à la hausse sa cible d'inflation pour se rapprocher de la stabilité des prix ajustée en fonction de la qualité. Quatrièmement, et comme  souligné par la Commission Boskin, étant donné que les tranches d'imposition et les prestations de sécurité sociale américaines sont indexées sur l'inflation mesurée, ces dernières évolueraient différemment si l'inflation officielle était réduite de 0,62% par an. Enfin, bien que 0,62% par an semble petit, une accumulation sur 30 ans est en revanche importante et  signifie qu'une proportion plus élevée d'enfants jouit d'une meilleure qualité de vie que leurs parents que ce qui est mesuré actuellement.

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Document de travail n°649 : Destruction créatrice et mesure de la croissance
  • Publié le 22/11/2017
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Mis à jour le : 22/11/2017 11:03