Document de travail n°743 : Engagements climatiques des banques et crédit aux industries intensives en carbone : nouveaux résultats pour la France

Dans cet article, j'examine si et comment les banques alignent leurs déclarations d’engagement pro-climat et leurs actes en termes d'allocation du crédit entre les industries plus ou moins intensives en carbone en France. J'utilise des données désagrégées sur les encours de crédit des principaux groupes bancaires opérant en France vis-à-vis d’une cinquantaine de secteurs industriels et pour deux classes de taille d'emprunteurs, que je fusionne avec des informations sur l'intensité des émissions de gaz à effet de serre de ces secteurs et une note de performance climatique reposant sur une auto-déclaration par les banques pour la période 2010-2017. Mes résultats suggèrent qu’un niveau d’engagement climatique plus élevé déclaré par les banques est effectivement associé à une moindre croissance de leurs prêts aux grandes entreprises dans les cinq secteurs les plus bruns. Toutefois, leurs prêts aux PME dans des secteurs plus ou moins intensifs en carbone n'ont pas été affectés par leurs engagements à verdir leurs activités. Étant donné que les PME ne sont pas tenues de déclarer leurs émissions de carbone, alors que les grandes entreprises le sont, ces résultats donnent à penser qu'un cadre approprié de déclaration des émissions de carbone pour les petites entreprises est susceptible de favoriser la décarbonation des prêts bancaires.

Pour relever efficacement les nombreux défis posés par les changements climatiques en cours, d’importants investissements publics et privés seront nécessaires au cours des deux prochaines décennies. Selon des estimations récentes, quelque 6 000 milliards de dollars d'investissements verts supplémentaires seraient nécessaires chaque année jusqu'en 2030 au niveau mondial, alors que seulement 400 milliards de dollars par an sont effectivement investis à ce jour. Rien qu'en France, qui représente environ 1,6 % des émissions mondiales de carbone, les besoins de financement supplémentaires s'élèveraient à quelque 60 milliards d'euros par an, mais la moitié de ce montant aurait été investie en 2015. Au cours de la dernière décennie, et plus encore depuis l'Accord de Paris de 2015, un certain nombre de grandes banques, dont de grands groupes français, ont reconnu publiquement qu'elles avaient un rôle à jouer dans la résolution de ce problème. En conséquence, de nombreux groupes bancaires se sont engagés à verdir leurs activités et ont signé des déclarations internationales ou ont mis en avant leur retrait de certaines industries à forte intensité d’émissions de carbone. Ces déclarations des grandes banques ne sont-elles qu'un simple éco-blanchiment ou le crédit bancaire est-il réellement réalloué à des entreprises et des industries brunes ? Si l’on en croit les éléments parfois divergents émanant des rapports d'ONG environnementales, le verdict n’est pas tranché.

Dans cet article, j'examine si les banques qui prétendent être vertes diminuent relativement plus leurs prêts aux secteurs domestiques les plus intensifs en carbone (ou les plus " bruns "). Pour ce faire, je fusionne des informations sur l'intensité des émissions de gaz à effet de serre (GES) des industries, des notes vertes des grands groupes bancaires qui reflètent leur performance climatique auto-déclarée, et enfin la quasi-totalité des expositions bilatérales de crédit des banques aux entreprises en France sur 2010-2017. Ce riche ensemble de données de crédit me permet, pour chaque banque, d'analyser séparément ce qui motive les prêts aux grandes entreprises et les prêts aux petites entreprises (PME) au sein de chaque secteur d’activité. Mes résultats viennent à l'appui de l’hypothèse d'une réaffectation relativement plus active du crédit aux secteurs fossiles lorsque les banques se déclarent plus engagées dans la lutte contre et l’adaptation au changement climatique, alors que les scores de performance climatique apparaissent associés à une moindre croissance des prêts aux grandes entreprises dans les cinq secteurs les plus émetteurs. Toutefois, je ne trouve aucun signe de rééquilibrage du crédit des banques plus engagées entre industries plus ou moins émettrices lorsqu'il s'agit de prêts aux PME. Ce manque d'intérêt pour l'intensité carbone des prêts de détail peut contribuer à expliquer pourquoi, dans des tests supplémentaires, je ne trouve aucun effet significatif des engagements des banques en matière de climat sur la croissance des émissions de GES au niveau des secteurs industriels au cours de cette période. 

Deux implications de politique économique peuvent être tirées de cette étude. Premièrement, le lien que je souligne entre l'intensité des émissions de carbone au niveau sectoriel, le verdissement des banques et les prêts bancaires aux grandes entreprises donne à penser que l'information disponible au niveau sectoriel sur les émissions de GES est pertinente pour les banques, ou du moins qu'elle représente bien l'information que les banques utilisent. Cela peut être préoccupant, car les régulateurs préféreraient encourager les banques à accorder des crédits aux sociétés " les plus vertes " des industries brunes, c'est-à-dire aux entreprises qui investissent massivement dans le verdissement de leur processus de production polluant, plutôt que de pousser les banques à réduire tout le financement d'une industrie donnée. Deuxièmement, les résultats appuient les récents appels en faveur d'une extension aux PME de l’obligation de publier un bilan carbone (CESE, 2018). Toutefois, la plupart des PME ne sont pas en mesure de se conformer aux nouvelles règles imposant un rapport détaillé sur leurs émissions de carbone. Pour éviter d'importantes erreurs ou sous-déclarations, la mise en œuvre d'une telle extension des obligations d'information aux petites entreprises nécessiterait donc la conception d'un cadre de divulgation approprié ainsi que des mesures d'accompagnement spécifiques.

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Document de travail n°743 : Engagements climatiques des banques et crédit aux industries intensives en carbone : nouveaux résultats pour la France
  • Publié le 29/11/2019
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Mis à jour le : 03/12/2019 14:14