L’invasion de l’Ukraine par la Russie contribue à dégrader l’environnement macroéconomique global, en accentuant les pressions inflationnistes préexistantes, et abaisse les perspectives de croissance, qui restent toutefois positives dans le scénario central des prévisions. L’appréciation des cours des marchés des matières premières et en particulier de l’énergie constitue le principal canal de transmission tant en matière de croissance que d’inflation. Aux effets de la guerre en Ukraine, s’ajoutent les incertitudes liées à la conjoncture chinoise, dans un contexte où des difficultés d’approvisionnement tout au long de la chaîne de production perdurent depuis la crise sanitaire.
Dans ce contexte d’inflation élevée, la remontée des taux d’intérêt dans la zone euro et dans le reste du monde, sous l’impulsion de la normalisation des politiques monétaires, constitue le facteur d’influence majeur pour le système financier français au premier semestre 2022. C’est principalement à l’aune de cette évolution des taux d’intérêt, ainsi que de ses perspectives, que nous passons en revue les vulnérabilités pour l’évaluation des risques du système financier français.
La situation des banques et des assureurs français continue de se caractériser par un niveau élevé de solvabilité et de liquidité, ce qui permet aux premières d’absorber sans encombre les conséquences économiques de la guerre liées à une dégradation de la qualité de crédit de certaines de leurs expositions. Il s’agit essentiellement des expositions sur les entreprises non financières les plus sensibles à la hausse des prix des matières premières et à l’inflation. Les premiers effets directs du choc géopolitique sur le système financier français ont quant à eux été limités du fait d’expositions directes modestes à la Russie et à l’Ukraine.
La normalisation, et donc une hausse ordonnée des taux d’intérêt, devrait augmenter la marge nette d’intérêt des établissements bancaires français. Dans la phase de transition, elle pourrait toutefois influer négativement sur leurs portefeuilles valorisés comptablement à la juste valeur. Pour les assureurs, la remontée des taux d’intérêt va améliorer le rendement de leurs placements à venir, mais pourrait introduire un risque de rachats accru de la part des investisseurs sur les placements en assurance-vie, pour profiter de taux de rendement plus élevés. Ce risque de rachat accru ne s’est pas encore matérialisé et la situation de liquidité des assureurs est suffisamment solide pour y faire face.
La remontée des taux d’intérêt intervient dans un contexte où l’encours de dette brute consolidée des sociétés non financières (SNF) françaises en pourcentage du PIB, même s’il décroît depuis mi-2021, reste relativement élevé au regard des comparaisons européennes et internationales. Si les taux des financements de marché des entreprises françaises se tendent, avec une progression des rendements plus marquée pour les entreprises les moins bien notées, les volumes d’émissions sur le marché obligataire primaire n’indiquent pas de difficultés particulières dans l’accès aux financements de marché, hormis un ralentissement des émissions sur ces entreprises de catégorie spéculative. Face à une hausse des taux supplémentaire, les SNF françaises, du fait du profil de maturité de leur dette étalé dans le temps, et de la part très majoritaire des taux fixes, devraient se montrer résilientes.
Le déficit public devrait s’inscrire dans une trajectoire baissière pour 2022 et 2023, dont l’ampleur sera néanmoins limitée par les nouvelles mesures budgétaires, notamment liées à l’amortissement des conséquences de la guerre en Ukraine. Sous l’effet de la remontée des taux souverains, la charge de la dette devrait augmenter progressivement pour la France et l’ensemble des pays de la zone euro avec une hausse toutefois plus marquée pour certaines dettes souveraines de la zone euro. Ce risque de fragmentation fait l’objet d’une vigilance toute particulière du Conseil des gouverneurs de l’Eurosystème et sera limité grâce à la mobilisation d’outils destinés à assurer la transmission adéquate de la politique monétaire.
Les ménages considérés dans leur ensemble bénéficient toujours d’une situation d’épargne financière favorable. Les vulnérabilités à court terme pour le secteur des ménages sont à ce stade contenues. En effet, les risques induits par une hausse des taux d’intérêt pour la solvabilité des ménages endettés sont très réduits, dans la mesure où les crédits immobiliers sont en quasi-totalité octroyés à taux fixe en France. En outre, l’accès au crédit demeure favorable. En dépit de la normalisation des taux de marché de référence, les taux du crédit immobilier restent, à ce stade, historiquement faibles et la production de crédit encore particulièrement élevée, dans un contexte d’assainissement significatif des conditions d’octroi des crédits immobiliers grâce aux décisions du HCSF.
Le contexte géopolitique nécessite en outre de renforcer la vigilance quant au risque d’attaque cyber d’importance systémique. Un chapitre thématique est dédié au risque cyber avec un panorama général de la menace, de sa dimension potentiellement systémique, et enfin un aperçu des réponses, réglementaires et autres.
Un deuxième chapitre thématique est dédié aux marchés des matières premières, compte tenu de leur place centrale dans les évolutions des six derniers mois. Ce chapitre décrit les mécanismes à l’origine de l’envolée des prix par type de matière première, souligne le rôle des produits financiers dérivés sur ces marchés et l’importance des liens financiers entre les différents types d’intervenants de ces marchés dérivés. Les enjeux de stabilité financière liés au fonctionnement de ces marchés notamment du fait des tensions de liquidité observées en mars 2022 en lien avec les appels de marge sont importants et méritent des réponses adéquates, y compris réglementaires, pour se prémunir contre de nouveaux chocs à venir. À cet égard les évolutions actuelles des prix des matières premières énergétiques jettent une lumière crue sur les risques macrofinanciers liés à la transition vers une économie neutre en carbone. Il est attendu que la transition s’accompagne d’une augmentation des prix des énergies fossiles (a minima un doublement, selon les scénarios du Réseau des banques centrales et de superviseurs pour le verdissement du secteur financier (NGFS) ; cette progression se doublerait de tensions sur la disponibilité et/ou le prix de matières premières indispensables à la transition (cf. minerais etc.). La hausse des prix des matières premières (et donc de l’inflation) serait encore plus importante et assez proche des évolutions du dernier semestre, si la transition devait être retardée et donc désordonnée. Ces derniers aspects associés à la transition énergétique sont abordés dans la dernière partie de l’analyse transversale consacrée aux enjeux climatiques des évolutions actuelles.
Mis à jour le : 15/07/2022 09:37