Document de travail n°756 : Les flux d'emploi à emploi et la dynamique des salaires en France et en Italie

Certains travaux récents sur les États-Unis montrent que la dynamique des salaires est davantage influencée par les flux d'emploi à emploi que par les flux d'entrée ou de sortie de l'emploi. Dans cet article, nous évaluons si ce résultat vaut également pour la France et l'Italie, caractérisées par une structure différente du marché du travail. En utilisant des données administratives comparables, nous constatons que, comme aux États-Unis, les flux d'emploi à emploi contribuent positivement à la croissance des salaires en France et en Italie. Toutefois, comme ces flux sont plus faibles et présentent un caractère cyclique beaucoup moins important qu'aux États-Unis, leur contribution à la dynamique globale des salaires est faible, tandis que la contribution des flux d'entrée et de sortie de l'emploi reste importante. Nous examinons ensuite de près l'hétérogénéité de la probabilité de changer d'emploi et de la prime salariale associée selon les types de salariés et d'entreprises. Nous constatons que les flux d'emploi à emploi et le gain associé ont tendance à être plus importants dans les professions hautement qualifiées et pour les salariés permanents. En outre, comme aux États-Unis, les individus sont plus susceptibles de se tourner vers des entreprises plus jeunes, qui débauchent intensivement les travailleurs d'autres entreprises.

Certains travaux récents sur les États-Unis soulignent l'importance des flux d'emploi à emploi non seulement pour bien comprendre le fonctionnement du processus de redistribution des travailleurs dans les entreprises les plus productives, mais également pour expliquer la dynamique globale des salaires et sa récente évolution (p. ex. Moscarini et Postel-Vinay 2016, ci-après MPV, et Hahn et al. 2018). 

Dans cet article, nous testons empiriquement si et dans quelle mesure les flux d'emploi à emploi influencent la croissance des salaires nominaux en France et en Italie. Nous décomposons la dynamique globale des salaires par types de flux pour identifier la contribution des embauches/séparations et des flux d'emploi à emploi. Nous montrons que, tant en Italie qu'en France, les personnes qui restent dans la même entreprise, en raison de leur très grand poids dans l'emploi total, déterminent principalement la dynamique globale des salaires nominaux. Les flux d'entrée et de sortie de l'emploi sont plus importants que les flux d'un emploi à l'autre et ces mouvements ont tendance à se compenser, comme aux États-Unis (Hahn et coll. 2018). 

En théorie, les flux d'emploi à emploi peuvent influer sur la croissance des salaires par deux canaux que MPV (2016a) définit comme suit : (i) l'effet de " composition " et (ii) les effets " stratégiques ". Le premier est le plus évident : les travailleurs ne quittent leur emploi que s'ils reçoivent une meilleure offre salariale. Le second se produit lorsque les employeurs réagissent au débauchage d'autres entreprises en augmentant les salaires de leurs travailleurs afin de les retenir. Le premier effet concerne ceux qui changent d'emploi. Le second peut toucher à la fois ceux qui changent et ceux qui ne changent pas d'emploi, comme dans le cas dans MPV (2016a, 2017a). 

Nous analysons la corrélation entre les flux d'emplois observés et les chocs locaux, mesurés par les variations du taux de chômage local. Nous considérons la probabilité de changer d'emploi, le gain salarial moyen associé à un changement d'emploi et la relation spécifique entre le salaire des personnes qui changent d'emploi et les chocs locaux, par opposition à celui des personnes qui restent dans la même entreprise. Dans notre modèle empirique le plus simple, la corrélation des variations salariales avec la situation économique est saisie par les variations du taux de chômage local où la personne travaille. Nous constatons qu'en Italie, la probabilité de changer d'emploi est fortement corrélée avec le taux de chômage local, mais pas en France. Dans les deux pays, les salariés bénéficient en moyenne d'une augmentation supplémentaire de 2 pp. du salaire nominal lorsqu'elles changent d'employeur. De plus, ce gain salarial pour les personnes changeant d'entreprise est négativement corrélé avec le taux de chômage local. Les changements de salaire des personnes qui restent dans le même emploi ne sont en général pas très sensibles aux changements de la situation économique locale. Enfin, en comparant la France et l'Italie, nous constatons que les flux d'emploi à emploi sont plus importants et plus corrélés avec le chômage local en Italie qu'en France ; les gains salariaux réagissent plutôt de manière similaire aux variations du taux de chômage local dans les deux pays.  

Pour comprendre ce qui motive nos résultats, nous examinons les dimensions pertinentes de l'hétérogénéité. Nous constatons que les flux de travailleurs hautement qualifiés d'un emploi à l'autre sont plus fréquents et plus sensibles à la situation économique locale. Nous constatons également que les travailleurs temporaires représentent une part importante de ceux qui changent d'emploi, notamment parce qu'ils sont contraints de chercher un autre emploi à l'expiration de leur contrat. La prime liée au changement d'emploi est cependant plus élevée et plus corrélée avec le taux de chômage local pour les travailleurs permanents. Nous vérifions également si la dynamique des salaires est influencée par les caractéristiques de l'entreprise. Toutefois, nous ne constatons pas de tendance claire des flux d'emplois selon la taille de l'entreprise, contrairement à ce que l'on trouve dans la littérature. Nous constatons plutôt que les flux d'emplois sont plus cycliques dans les petites entreprises. Comme dans Fort et al. (2013), nous constatons que les jeunes entreprises de petite taille débauchent les salariés d'autres entreprises et que tant les entrées que les gains salariaux sont fortement et positivement corrélés avec les chocs locaux. 

Nous examinons ensuite l'existence de l'effet stratégique, c'est-à-dire la réaction des salaires des travailleurs qui restent sur le marché du travail aux variations de la probabilité moyenne de changer d'emploi sur leur marché du travail, ainsi qu'aux variations de la probabilité moyenne de quitter leur emploi et d'y entrer. Nous suivons la MPV (2017a) et, pour différents types de travailleurs, nous calculons une probabilité variable dans le temps d'enregistrer un passage d'un emploi à un autre, une transition vers le non-emploi ou une transition du non-emploi à l'emploi. Nous constatons que les flux d'emploi à emploi influent sur la croissance des salaires tant des travailleurs qui restent dans la même entreprise que de ceux qui en change, de manière cohérente avec l'effet dit " stratégique ", comme dans MPV (2017a). Mais, à la différence de ces derniers, nous constatons aussi que les salaires réagissent à la variation des flux potentiels en provenance et à destination du non-emploi (qui déterminent les variations du taux de chômage). 

Sur la base de l'ensemble de nos résultats, nous concluons que - à la différence de ce qui a été observé aux États-Unis - le chômage influence encore la croissance des salaires en France et en Italie, car les transitions vers le non-emploi et hors de celui-ci restent un déterminant essentiel de la croissance globale des salaires. Ce résultat confirme la validité des spécifications standard de la courbe de Phillips. Toutefois, les recherches sur la courbe de Phillips devraient aussi tenir compte de l'incidence potentielle des flux d'emplois et des caractéristiques des entreprises sur la croissance globale des salaires.
 

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Document de travail n°756 : Les flux d'emploi à emploi et la dynamique des salaires en France et en Italie
  • Publié le 25/02/2020
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Mis à jour le : 25/02/2020 18:38