Cette Lettre est à nouveau consacrée à l’inflation, première préoccupation des Français. C’est notre priorité comme banque centrale, et nous sommes fermement engagés à la vaincre dans les deux ans qui viennent. Mais il faut d’abord bien éclairer les causes et les symptômes de ce qui est une maladie économique et sociale. La vague d’inflation actuelle a d’abord été importée, résultant fin 2021 (reprise post‑Covid) puis début 2022 (invasion russe en Ukraine), des chocs extérieurs sur l’énergie et les produits agricoles. Encore aujourd’hui, ces deux postes focalisent légitimement l’attention de nos concitoyens, car ils connaissent – en particulier sur l’alimentation – les hausses les plus fortes.
Mais ils ne sont ni les plus importants – 30 % seulement de notre consommation – ni les plus durables : l’inflation sur l’énergie a d’ailleurs déjà ralenti, entraînant une baisse sensible de l’inflation totale pour la zone euro, redescendue de 10,6 % fin octobre à 6,9 % aujourd’hui ; et de 7,1 % à 6,7 % pour la France.
Entre‑temps, l’inflation est devenue plus interne, et s’est malheureusement élargie à l’ensemble des biens et services : l’inflation « sous‑jacente », hors énergie et alimentation, atteint 4,6 % en France, et risque d’être plus persistante. C’est là précisément que la politique monétaire peut et doit agir.
La maladie de l’inflation serait en effet d’autant plus grave qu’elle s’installerait durablement : le pouvoir d’achat serait significativement touché, alors qu’il est finalement resté préservé en moyenne en 2022, et devrait l’être à nouveau en 2023, même si telle n’est pas à l’évidence la perception de nos concitoyens. Le danger serait l’emballement d’une spirale prix‑salaires, et d’une spirale prix‑marges dans certains secteurs : mais ces deux risques justifient aujourd’hui une vigilance plus qu’une alerte globale. Enfin, la confiance des Français dans leur monnaie, l’euro, demeure aujourd’hui historiquement élevée à 73 %. Ces constats encore relativement favorables sont une raison de plus pour traiter la maladie assez tôt.
Le traitement budgétaire a été le premier en France : les boucliers tarifaires mis en place depuis 2021 ont été efficaces pour amortir temporairement le choc énergétique, mais ils ne peuvent le faire disparaître. Redisons‑le : il est essentiel de sortir du « quoi qu’il en coûte », qui ne se justifiait que pour un choc Covid exceptionnel. Alors que notre déficit public sera cette année un des plus élevés d’Europe, il faut faire tendre vers zéro ces mesures coûteuses – environ 50 milliards d’euros sur 2022‑2023 –, en profitant de la décélération actuelle des prix de l’énergie, et il faut arrêter les baisses d’impôt non financées.
L’arme anti‑inflation la plus efficace est aujourd’hui monétaire : sans provoquer la récession redoutée, l’Eurosystème a ici agi vite et fort depuis un an, pour sortir des conditions financières exceptionnellement accommodantes qu’avait nécessitées antérieurement la trop faible inflation. Aujourd’hui, le crédit est logiquement plus cher en Europe : c’est cependant en France qu’il reste le plus favorable, et largement accessible aux ménages comme aux entreprises. La solidité du système bancaire français le met en effet à l’abri des problèmes spécifiques connus par certaines banques régionales américaines ou par Crédit Suisse. Compte tenu du délai d’un à deux ans de transmission du resserrement monétaire en cours, la banque centrale s’engage à ramener l’inflation vers 2 % d’ici fin 2024 à fin 2025. Les anticipations d’inflation des ménages et des entreprises montrent une confiance raisonnable dans cet horizon, et devraient ainsi contribuer à la décrue progressive de la hausse des prix après le pic actuel.
Notre pays doit cependant ajouter une autre mobilisation afin de modérer l’inflation et d’augmenter notre croissance : il s’agit, pour répondre à la demande, de produire plus et mieux en musclant notre capacité d’offre et d’innovation. Les ruptures de notre environnement appellent ainsi une stratégie de transformation globale, juste et persévérante, en quatre dimensions. Les deux premières concernent toute l’Europe : réussir tant la transformation énergétique et climatique, que la transformation numérique.
Mais deux dimensions sur l’offre productive impliquent plus spécifiquement notre pays : face à la crise des services publics, réussir une transformation publique qui améliore l’efficacité des dépenses courantes et privilégie plutôt celles d’avenir ; la Banque de France en est un exemple modeste mais réel. Et surtout, poursuivre dans un dialogue social relégitimé la transformation du travail, qui doit être collectivement encore plus abondant, et individuellement plus qualifié et plus attractif ; les difficultés de recrutement restent aujourd’hui le premier frein à la production, pour 52 % des entreprises françaises. Notre travail reste la clé de notre succès collectif, de notre pouvoir d’achat et du plein emploi. Face à l’inflation et aux incertitudes actuelles, nous avons largement entre les mains les leviers de notre destin économique : au‑delà de la tension de l’immédiat, cette conviction devrait mieux fonder notre confiance.
Mis à jour le : 09/05/2023 11:16