Cette étude repose sur une expérience naturelle historique afin d’estimer, pour la première fois, l’effet causal d’une monnaie commune sur le commerce international. Depuis les travaux de Rose (2000) une littérature abondante s’est intéressée aux monnaies en tant que coût de transaction dans le commerce international. Néanmoins, il apparaît probable que des biais d’endogénéité et d’auto-sélection soient intrinsèquement liés à l’adoption d’une monnaie commune, ce qui pourrait expliquer les effets significativement positifs trouvés par la littérature. Je propose une approche quasi-expérimentale en exploitant un épisode de variation exogène dans l’adoption d’une monnaie commune, induite par un choc géopolitique – l’unification Italienne en 1861 - et impliquant la zone monétaire du Franc français au 19ème siècle. Grace à une base de données nouvellement constituée et par le biais d’équations de gravité structurelles, je suis en mesure d’estimer un effet de l’ordre de 35 %. Mes résultats mettent en avant un effet significatif, bien qu’hétérogène, des monnaies communes sur le commerce bilatéral.
L'un des principaux avantages économiques généralement associés aux unions monétaires est l'augmentation des flux transfrontaliers, et notamment du commerce. L'effet de l'adoption d'une monnaie commune sur le commerce international s'est révélé très important dans des études antérieures, les estimations moyennes suggérant un effet allant jusqu’au doublement du commerce bilatéral.
Cependant, il n'est pas certain que ces estimations soient utiles pour guider les politiques. En effet, plusieurs facteurs pourraient biaiser à la hausse l'effet mesuré. Les pays adoptant une monnaie commune pourraient en même temps être plus susceptibles de partager d'autres caractéristiques positivement associées au commerce international. Par exemple, ils peuvent avoir des liens culturels ou historiques, ou être caractérisés ex ante par des processus d'intégration économique ou politique. Les épisodes historiques d'abandon des monnaies communes ont également tendance à coïncider avec des événements ayant un impact négatif sur le commerce international, comme la décolonisation ou les guerres civiles. Il est donc loin d'être évident que les estimations trouvées dans la littérature mettent en lumière une relation pertinente pour les politiques, allant des unions monétaires au commerce bilatéral.
Pour estimer un lien de causalité entre une monnaie commune et les flux commerciaux bilatéraux, il faudrait idéalement mener une expérience, en attribuant de manière aléatoire l'adhésion à une union monétaire à un groupe de pays suffisamment similaires, puis observer la différence ex post entre les groupes de traitement et de contrôle. Face à l'impossibilité d'une telle approche, il faut se tourner vers un cadre quasi-expérimental où les événements du monde réel imitent les caractéristiques d'une expérience.
Je me concentre sur un contexte historique où un choc géopolitique soudain, l'unification italienne, a entraîné des variations aléatoires dans l'adhésion à une union monétaire. En 1861, un petit État tampon, le Royaume de Piémont-Sardaigne, a fini par annexer de manière inattendue la majeure partie de l'Italie actuelle, à la suite d'une série d'événements diplomatiques et militaires imprévus. Le Piémont faisait jusqu'alors partie de la sphère d'influence française et, en tant que tel, d'une zone franc qui a existé tout au long du XIXe siècle. L'unification italienne a donc signifié que, lorsque le Piémont a étendu ses institutions aux territoires annexés, plusieurs États italiens se sont retrouvés de manière exogène dans une relation accidentelle de monnaie commune avec la France et ses satellites.
L'article s'appuie sur des données originales, compilées par les ambassades étrangères en Italie, que j'ai recueillies dans les archives diplomatiques et les publications historiques. Ces nouvelles données me permettent d'observer le commerce bilatéral italien avant et après l'unification au niveau de l'État pré-unitaire. Je peux donc estimer l'effet de la monnaie commune sur le commerce international en m'appuyant sur un modèle de gravité, conformément à la littérature utilisant des données contemporaines. Mes résultats indiquent que, sur la base de l'environnement quasi-expérimental que j'examine, nous devrions nous attendre, suite à la mise en place d’une monnaie commune, à une augmentation du commerce bilatéral de l'ordre de 35 %.
L'estimation est robuste aux différentes spécifications de l'équation de gravité, à l'échantillonnage des données et, plus important encore, n'est pas déterminée par un troisième facteur simultané. En examinant le calendrier échelonné de la mise en œuvre de l'unification italienne ainsi que les données sur les tarifs au niveau des produits, je montre que les résultats ne sont pas dus à un changement de politique tarifaire. Je montre également qu'ils ne peuvent pas être expliqués par l'adoption d'une nouvelle unité de mesure, par des tendances historiques ou par une dépendance de trajectoire liée à l'occupation napoléonienne.
Je constate que l'effet est hétérogène au sein de chaque paire bilatérale. Conformément aux travaux précédents, l'effet estimé de la monnaie commune s'avère plus important pour les parts de commerce ex ante plus faibles. En outre, bien qu'important en termes absolus, l'ampleur de l'effet estimé est significativement plus faible que l’estimation moyenne dans la littérature. Cela pourrait indiquer qu'un biais à la hausse lié à l'endogénéité des unions monétaires pourrait effectivement être un problème dans la littérature existante. Cependant, l'article confirme largement les implications politiques originaires de la littérature dans un cadre quasi-expérimental, puisque nous devrions nous attendre à ce qu'une monnaie commune ait un effet positif significatif sur le commerce bilatéral.
Mis à jour le : 31/12/2021 14:06