Nous montrons que les coûts d'installation sont un facteur déterminant de la structure du capital des jeunes entreprises. Théoriquement, lorsque les entreprises sont confrontées à des coûts d’installation élevés, elles ne peuvent être créées qu'en faisant appel à l'effet de levier et en allongeant la durée de la dette. Empiriquement, nous utilisons un large échantillon d'entreprises françaises pour montrer que les jeunes entreprises ont un levier nettement plus important et émettent des dettes à plus longue échéance que les entreprises plus anciennes. Comme le prévoit le modèle, ces tendances sont plus marquées dans les industries à coûts d'installation élevés et pour les entreprises à faible rentabilité. Enfin, nous montrons que, suite à un choc exogène qui réduit l'offre de prêts à long terme des banques, les jeunes entreprises dans les industries à coûts d'installation élevés connaissent une croissance nettement moindre.
Malgré l'importance des jeunes entreprises dans l'économie, on sait peu de choses sur leur financement et leur structure de capital. Grâce à de nouvelles données, nous commençons par documenter deux faits en utilisant un large échantillon de sociétés françaises : les jeunes entreprises ont un endettement plus élevé et s’endettent à plus long terme que les entreprises plus expérimentées. Ces faits sont a priori surprenants si l'on accepte l'hypothèse habituelle selon laquelle les jeunes entreprises sont plus sujettes que les entreprises plus anciennes à la sélection adverse et aux frictions de l'aléa moral. En effet, dans les modèles standard, ces frictions sont associées à un financement externe plus faible, qu'il s'agisse de fonds propres ou de dettes. Sous réserve de l'accès aux marchés de la dette, ces modèles prévoient également un faible endettement et des échéances à plus court terme pour les entreprises les plus contraintes.
Dans ce document, nous proposons une explication de ces faits stylisés et testons un riche ensemble de prédictions associées. En résumé, la principale caractéristique qui permet de concilier théorie et données est l'existence de coûts d’installation fixes, définis comme la quantité minimale d'actifs corporels ou incorporels dont une entreprise a besoin pour commencer à opérer dans un secteur donné. Lorsque les entreprises sont confrontées à des coûts de création importants par rapport à la valeur nette initiale de l'entrepreneur, elles doivent se tourner vers des financiers externes. Si elles disposent de flux de trésorerie limités lorsqu'elles sont jeunes, leur capacité à rembourser leurs dettes à chaque période est limitée. La seule façon de financer les coûts de création est donc d'allonger la maturité de la dette, à condition que le contrat de prêt reste réalisable. Ces effets sont amplifiés dans les secteurs où les coûts d’installation sont plus élevés.
Pour formaliser les prévisions sur le rôle des coûts d’installation, nous commençons par élaborer un modèle simple à trois périodes avec aléa moral, inspiré de Holmstrom et Tirole (1997). Ce modèle génère trois principales prédictions vérifiables. Premièrement, dans les secteurs où les coûts d’installation sont plus élevés, l'endettement initial et l'échéance de la dette sont plus élevés et diminuent plus rapidement avec le vieillissement des entreprises. Deuxièmement, dans les industries caractérisées par un coût d’installation donné, les entreprises dont la rentabilité initiale est plus faible devraient emprunter avec une dette à plus long terme. Troisièmement, lorsque la capacité des financiers à fournir une dette à long terme est compromise, les effets peuvent être hétérogènes entre les industries ayant des coûts d’installation différents : les modèles de création et de croissance des entreprises seront différents selon les industries. En d'autres termes, les coûts de création ne sont pas seulement importants pour la structure du capital des entreprises, mais aussi pour la transmission des chocs bancaires.
Sur la base de ce modèle simple, notre principale contribution est empirique. Nous testons ces hypothèses en utilisant plusieurs sources, notamment les données de bilan d'un échantillon aléatoire de 20 % de toutes les entreprises créées en France entre 2006 et 2016, et des données individuelles de prêts de la Banque de France. Nous effectuons ensuite des tests formels utilisant des régressions. Cela nous permet d'inclure une variété de contrôles, ainsi que des effets fixes sur les entreprises et le temps. Nous confirmons la conclusion selon laquelle, au sein d'une entreprise donnée et après avoir supprimé les effets temporels, le levier et la maturité de la dette diminuent avec l'âge. Nous confirmons en outre que, dans les secteurs ayant un coût d’installation donné, les entreprises ayant des flux de trésorerie plus faibles empruntent avec une dette à plus longue échéance. Dans la deuxième partie de l'article, nous montrons que les coûts d’installation sont un déterminant important de la transmission des chocs financiers à l'économie réelle. Nous le faisons en utilisant une expérience quasi-naturelle : la faillite en 2008 de Dexia, une grande banque franco-belge qui prêtait aux municipalités françaises. Suite à ce choc, les municipalités qui comptaient auparavant sur les prêts de Dexia ont emprunté de plus en plus, à des échéances longues, auprès d'autres banques avec lesquelles elles avaient déjà des relations. Ces banques ont alors été contraintes de réduire l'échéance des nouveaux prêts aux entreprises. Nos régressions de différence de différences confirment que les banques traitées ont réduit l'échéance des nouveaux prêts aux entreprises après la faillite de Dexia. Les entreprises des secteurs à coûts d'installation élevés, pour lesquels la disponibilité de financements à long terme est plus importante, ont été plus sévèrement touchées. Deux ans après l'octroi des premiers prêts, les jeunes entreprises dans les industries à coûts d'installation élevés et les emprunts auprès des banques traitées étaient en effet plus petites et détenaient moins d'actifs immobilisés.
Mis à jour le : 10/06/2021 15:11