Bien que la plupart des banques centrales interviennent activement sur le marché des changes, la littérature sur le sujet offre des preuves mitigées de l’efficacité de ces interventions, et cela en particulier pour les interventions non annoncées. Nous utilisons de nouvelles données déclassifiées provenant des archives de la Banque d'Angleterre ainsi que les caractéristiques institutionnelles de la période de Bretton Woods pour estimer les effets des interventions sur le taux de change. Nous constatons qu’un achat de livres sterling équivalent à 1% de la masse monétaire entraîne une appréciation statistiquement significative de 4 à 5 points de base de la livre.
La plupart des économies en développement et de nombreuses économies avancées interviennent sur les marchés des changes pour gérer la volatilité et les mouvements indésirables du taux de change. Ces opérations impliquent des ventes et des achats de réserves pour tenter d'influencer le taux de change. De nombreuses banques centrales stérilisent leurs interventions (ce qui signifie qu'elles n'ont aucun effet sur l'orientation de la politique monétaire) et les mènent secrètement (ce qui signifie qu'elles ne sont pas annoncées à l'avance et ne sont pas reconnues après coup). D'après une enquête récente menée auprès de 22 banques centrales d'économies de marché émergentes, 17 d'entre elles ont déclaré qu'elles n'annonçaient "jamais" ou "rarement" leurs interventions au préalable.
En utilisant de nouvelles données sur les opérations quotidiennes de la Banque d'Angleterre durant l'ère de Bretton Woods, nous analysons ces interventions stérilisées non annoncées et non reconnues. Nous trouvons des effets modestes, mais statistiquement significatifs sur les taux de change. Nos résultats suggèrent qu'une vente stérilisée et non annoncée de dollars équivalente à 1% de la M0 britannique provoque une appréciation de 4-5 points de base de la livre sterling. Le fait que les interventions stérilisées aient des effets significatifs, même en l'absence d’un canal de signalisation (« signaling channel ») justifie au moins partiellement la décision de nombreuses banques centrales d’intervenir secret.
Notre analyse alimente un débat en cours sur l'impact des interventions stérilisées sur les taux de change. Beaucoup de banquiers centraux pensent que les interventions non stérilisées ont un effet sur les taux de change en influençant les taux d'intérêt relatifs, et que les interventions publiques stérilisées pourraient agir par le biais d'un canal de signalisation (« signaling channel »). Dans le cas des interventions stérilisées et secrètes, ces canaux sont atténués et il existe moins d'accord sur l'efficacité de ces interventions. Si de nombreuses banques centrales annoncent aujourd'hui leurs interventions, certaines interviennent toujours secrètement.
La littérature académique sur les interventions de change se concentre de manière disproportionnée sur les quelques banques centrales qui interviennent publiquement et publient leurs données d'intervention. Même lorsque les circonstances ont permis d'étudier d'autres banques centrales, il n'est pas toujours évident de savoir si les opérations étaient réellement secrètes ou rapidement stérilisées. Il est donc difficile de démêler les canaux en jeu. Même avec un accès à des données de qualité, toutes les études sur les effets de l'intervention doivent faire face à la question de l'endogénéité, car les interventions ne sont pas attribuées de manière aléatoire.
Dans cet article, nous nous appuyons sur les données historiques quotidiennes des archives de la Banque d'Angleterre (figure ci-dessus). Ces données, désormais rendues publiques, montrent les opérations de change secrètes et stérilisées de la Banque d'Angleterre.
Pour traiter le problème de l'endogénéité, nous avons deux approches. Il y a endogénéité car les banques centrales interviennent presque toujours en réaction au mouvements du marché. Il est donc difficile de savoir si les mouvements de marché sont dus à des nouvelles de marché ou à l'action de la banque centrale. Pour résoudre ce problème, nous adoptons d'abord deux approches de variables instrumentales (IV).
Une approche IV tire parti de l'objectif de taux de change explicite de la Banque d'Angleterre durant Bretton Woods, et utilise la distance au carré du taux de change avec les limites officielles du taux de change. Cet instrument est motivé par le fait que les opérateurs travaillant pour la Banque d'Angleterre, qui étaient chargés d'intervenir, auraient pu être plus prompts à agir si le taux de change s'était éloigné de la cible du taux officiel.
Nous explorons également une deuxième approche IV en utilisant les réserves d'or décalées comme variable instrumentale pour les interventions. L'hypothèse d'identification est que les réserves d'or reflètent l'historique complet des décisions d'intervention. Elles sont donc relativement orthogonales aux développements actuels des marchés financiers. Nous obtenons des résultats similaires (estimations du même signe et de la même ampleur) mais des estimations beaucoup moins précises en raison de la faible puissance de la première étape de l’IV.
Enfin, en plus de ces deux stratégies IV, nous adoptons également une approche qui identifie les chocs exogènes à l'intervention comme des déviations d'une règle de politique monétaire estimée via un opérateur adaptatif « lasso » (pour « least absolute shrinkage and selection operator »). Les déviations par rapport à cette règle peuvent être interprétées comme des chocs exogènes à l'intervention, mais seulement si nous pouvons affirmer que les déviations ne sont pas prises en réponse aux développements actuels des marchés financiers. Pour ce faire, nous limitons notre attention aux déviations qui se produisent lors des jours fériés spécifiques au Royaume-Uni, pendant lesquels la Banque d'Angleterre est fermée (et n'intervient presque jamais) tandis que la livre continue de s'échanger à New York, à Zurich et sur d'autres marchés mondiaux des devises.
Mis à jour le : 05/10/2021 15:52