L'article montre, dans un modèle analytique simple, l'existence d'un biais déflationniste dans une économie où le taux d'intérêt naturel est faible, où les taux d'intérêt nominaux sont soumis à la contrainte de la limite inférieure zéro (ZLB) et où la banque centrale a un mandat discrétionnaire en matière d'inflation. La présence de la ZLB empêche la banque centrale de compenser les chocs négatifs de l'inflation alors qu'elle peut compenser les chocs positifs. Cette asymétrie pousse l'inflation moyenne en dessous de la cible, ce qui entraîne une baisse des anticipations d'inflation et renforce la probabilité d'atteindre la ZLB. Nous montrons que ce biais déflationniste est particulièrement pertinent pour une Banque Centrale avec un double mandat symétrique (c'est-à-dire minimiser les déviations de l'inflation et de l'emploi), surtout lorsqu'elle fait face à des chocs de demande. Mais une cible d'inflation stricte ne peut pas non plus échapper à l'équilibre déflationniste sous-optimal. Le biais déflationniste peut être atténué en ciblant les « manques » au lieu des « écarts » par rapport à l'emploi maximum et/ou en utilisant une cible d'inflation moyenne flexible. Toutefois, en changeant de stratégie de politique monétaire, on risque d'ancrer les anticipations d'inflation au-dessus de l'objectif si le taux d'intérêt naturel augmente.
On estime que le taux d'intérêt naturel (le taux d'intérêt réel qui équilibre la demande et l'offre d'épargne à moyen terme) a baissé de manière persistante au cours des dernières décennies dans les économies avancées. Cette baisse du taux naturel a fortement limité l'efficacité de la politique monétaire conventionnelle. Étant donné que les taux d'intérêt nominaux ne peuvent pas descendre bien en dessous de zéro (la borne inférieure effective) et qu'un taux d'intérêt naturel plus faible implique un taux d'intérêt nominal plus faible en moyenne, les banques centrales ont moins de marge de manœuvre pour réduire les taux d'intérêt nominaux afin de stimuler l'économie. En outre, si les banques centrales ne peuvent pas relancer rapidement leur économie, les anticipations d'inflation vont également diminuer. Or, les taux d'intérêt nominaux sont composés d'un taux de rendement réel et de l'inflation attendue. Ainsi, la réduction des anticipations d'inflation entrave encore davantage la marge de manœuvre dont disposent les banques centrales pour déployer une politique monétaire conventionnelle en abaissant les taux d'intérêt nominaux. Cela limite la capacité des banques centrales à relancer l'économie et fait baisser encore plus l'inflation attendue, créant ainsi une spirale vicieuse. Cette interaction négative entre un taux d'intérêt naturel faible et la borne effective est appelée « biais déflationniste ». En réponse à ce risque, les banques centrales ont déployé de nombreux instruments monétaires non conventionnels, mais l'inflation est restée obstinément inférieure à l'objectif (jusqu'à très récemment), entraînant une baisse des anticipations d'inflation.
En août 2020, la Réserve Fédérale des États-Unis a annoncé deux modifications importantes de ses objectifs à long terme et de sa stratégie de politique monétaire. Elle a décidé de ne plus se préoccuper des « déviations » de l'emploi par rapport à l'emploi maximum, mais des « manques à gagner par rapport à l'emploi maximum ». En outre, elle a adopté une forme de stratégie de rattrapage par l'introduction d'un ciblage flexible de l'inflation moyenne (FAIT).
Dans ce document, nous développons d'abord un modèle simple pour expliquer le biais déflationniste. Pour ce faire, nous étendons le modèle bien connu de Barro et Gordon (1983) en ajoutant un taux d'intérêt naturel et une borne inférieure effective à zéro (ZLB). Cette approche de modélisation donne des résultats analytiques clairs et intuitifs et permet de comparer la différence entre une banque centrale avec un double mandat (sur l'inflation et le chômage comme pour la Fed) ou une cible d'inflation pure (comme la BCE) et d'étudier les effets des chocs de demande et d'offre séparément.
Nous démontrons qu'en présence de chocs de demande, le biais déflationniste est plus sévère pour une banque centrale à double mandat que pour une banque centrale ciblant l'inflation. Cela s'explique par le fait que la banque centrale à double mandat ne veut pas surchauffer indûment le marché du travail pour augmenter l'inflation. Nous montrons également qu'une courbe de Phillips plus plate (moindre sensibilité de l'inflation au chômage) réduit le biais déflationniste, tandis qu'une courbe IS plus raide (moindre sensibilité du chômage aux variations des taux d'intérêt nominaux) exacerbe le biais déflationniste. En présence de chocs d'offre, le biais déflationniste est moins grave pour une banque centrale à double mandat que pour une cible d'inflation : les chocs d'offre déplacent l'inflation et le chômage dans des directions opposées et la banque centrale à double mandat tolérera une inflation plus élevée pour réduire le chômage. Cela stimule les anticipations d'inflation et atténue le biais déflationniste.
Ensuite, nous montrons comment le passage d'une interprétation « écarts » à une interprétation « manques » de la composante chômage du double mandat peut atténuer et, en fait, renverser le biais déflationniste. Dans le cadre de la stratégie des « manques », la banque centrale à double mandat préfère toujours un taux de chômage plus faible pour tout niveau d'inflation. Cela conduit à un biais à la hausse de l'inflation et, en présence de la ZLB, aide à combattre le biais déflationniste. Nous présentons ensuite des simulations de l'effet du passage à FAIT, une cible d'inflation temporaire variant dans le temps. Nous montrons que cette stratégie peut atténuer le biais d'inflation mais ne l'élimine pas toujours. Cela démontre l'avantage d'utiliser les deux changements de stratégie en tandem. Dans la dernière partie de l'article, nous montrons que les avantages en termes de bien-être du passage aux « manques » sont positivement corrélés avec la probabilité de toucher la ZLB.
Mis à jour le : 28/10/2021 17:17