Document de travail n°881 : Du macro au micro : les grands exportateurs confrontés à des chocs communs

Depuis Gabaix (2011), le rôle des variations de la performance de quelques très grandes entreprises dans le cycle macroéconomique a été largement étudié dans la littérature économique. Les changements dans la performance de quelques grandes entreprises peuvent être dus à des chocs idiosyncratiques ou à des réactions idiosyncratiques à des chocs communs. Cet article met en évidence le second canal en utilisant des données détaillées sur l'ensemble des exportations et des importations des entreprises françaises sur la période 1993-2020. La granularité joue un rôle important dans la dynamique de long terme des exportations françaises totales : le résidu granulaire explique 42 % de la variance de la croissance des exportations agrégées au cours de la période. De plus, elle amplifie les chocs macroéconomiques : les plus grandes entreprises font mieux que la moyenne en période de prospérité et moins bien en période de crise. L'étude des performances des entreprises pendant la grande crise financière et la pandémie révèle que les principaux exportateurs ont contribué à l'effondrement des exportations de manière disproportionnée par rapport à leur part dans les exportations avant la crise, même au sein de marchés finement définis. Nous étudions les raisons de cette réaction amplifiée en utilisant la pandémie comme expérience naturelle. Nous constatons qu'une plus grande élasticité aux chocs de demande explique la réaction plus importante des principaux exportateurs à la pandémie, l'exposition aux chaînes de valeur mondiales ayant un faible pouvoir explicatif.

Les changements dans les performances de certaines très grandes entreprises ont une incidence sur les résultats globaux dans des économies granulaires. L'approche « micro to macro », qui relie le comportement micro aux résultats macro, a considérablement fait progresser notre compréhension des cycles économiques, de l'avantage comparatif ou de la transmission internationale des chocs.

Étant donné que les changements dans la performance de ces grandes entreprises ont une importance macroéconomique, il est primordial de comprendre leurs origines. Pourquoi les grandes entreprises ont-elles des performances différentes de celles des petites entreprises ? Alors que la littérature s'est concentrée sur le rôle des chocs idiosyncratiques, une vision complémentaire pose que les grandes entreprises réagissent différemment à des chocs communs. Cette approche postule que les chocs macroéconomiques entraînent des réactions hétérogènes, en particulier de la part des plus grandes entreprises, qui déterminent à leur tour la réaction macroéconomique au choc initial : la macro détermine la micro, puis la micro à son tour détermine la macro. Nous analysons la contribution des plus grands exportateurs aux fluctuations des exportations agrégées sur la période allant de 1993 à 2020. Nous nous appuyons sur des données douanières exhaustives, au niveau des sociétés, contenant les valeurs des exportations par pays de destination et pour des catégories de produits les plus détaillées disponibles à une fréquence mensuelle.

Une décomposition de la croissance agrégée des exportations (à une fréquence trimestrielle pour des raisons de lisibilité) en une moyenne non pondérée du taux de croissance des exportations des entreprises et un résidu granulaire capture la covariance entre la taille et la croissance des entreprises. Si la réponse aux chocs macroéconomiques n'était pas corrélée à la taille des entreprises, le résidu granulaire serait nul. Le résidu granulaire n'est pas nul et, en outre, il explique une grande partie des fluctuations des exportations globales : 42 % de la variance de la croissance globale des exportations. De plus, le coefficient de corrélation entre la croissance moyenne non pondérée des entreprises et le résidu granulaire est proche de 0,5. Cela implique que les grands exportateurs ont tendance à faire moins bien que l'exportateur moyen en période de ralentissement, et mieux que la moyenne en période de reprise.

La réaction excessive des grands exportateurs aux chocs macroéconomiques est considérable et apparaît clairement dans le cas des deux plus grands chocs macroéconomiques mondiaux de ces dernières décennies : la crise financière mondiale (CFM) et la pandémie. Non seulement les deux effondrements des exportations s'expliquent presque entièrement par la marge intensive (les entreprises qui continuent à exporter), mais ils ont également été causés par les plus grands exportateurs, dont les taux de croissance des exportations étaient nettement inférieurs à ceux de l'exportateur moyen.

Nous faisons un zoom sur l'effondrement des exportations en avril et mai 2020 dans le graphique ci-dessus. Étant donné la forte concentration des exportations, nous choisissons des catégories de taille d’exportateur particulièrement fines au sommet de la distribution. Par exemple, le top 1 % (environ 1 000 entreprises sur 100 000) représente plus de 70 % des exportations totales. Les barres noires montrent la part des exportations agrégées en avril et mai 2019 réalisée par chaque catégorie de taille. Nous comparons ensuite la part des exportations de chaque catégorie avant la crise avec sa contribution à l'effondrement des exportations globales entre avril et mai 2019 et avril et mai 2020, mesurée comme la variation des exportations totales d'une catégorie divisée par la variation des exportations globales. Si toutes les entreprises croissaient au même rythme, la contribution de chaque catégorie serait égale à sa part d'avant la crise. Le graphique montre que le petit groupe d'exportateurs « Superstar » contribue de manière disproportionnée à l'effondrement des exportations. Dans la tranche supérieure de 0,1 %, les 10 plus grands exportateurs expliquent à eux seuls environ un tiers de l'effondrement des exportations, alors qu'ils exportaient 19 % des valeurs totales d'avant la crise. Cette relation négative entre la taille avant la crise et l'ajustement des exportations à la crise se vérifie également au sein de l'ensemble des 1 000 plus grands exportateurs.

Les grandes entreprises sont plus susceptibles d'être plus engagées dans des chaînes de valeur mondiales complexes. Bien que les données le confirment, l'ajout de mesures de la participation aux chaînes de valeur mondiales à nos régressions n'affecte pas l'ampleur et la significativité des variables de catégories de taille de l'exportateur. En d'autres termes, la réaction excessive des grands exportateurs n'est pas due à leur engagement plus grand dans les chaînes de valeur mondiales. Au contraire, nous trouvons des preuves convaincantes d'un canal de la demande, qui n'est pas déterminé par la composition sectorielle ou géographique des exportations. Nous mettons plutôt en évidence une plus grande élasticité des grandes entreprises aux mesures de distanciation (confinements dans un grand nombre de pays) mises en œuvre dans les pays de destination en 2020.

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Document de travail n°881 : Du macro au micro : les grands exportateurs confrontés à des chocs communs
  • Publié le 15/07/2022
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Mis à jour le : 15/07/2022 12:38