Le sentiment général est que le renminbi (RMB) ne pourra pas avoir un poids significatif dans les portefeuilles de réserves des banques centrales en l’absence de libéralisation complète du compte de capital de la Chine. Nous développons des arguments selon lesquels le RMB peut au contraire acquérir un rôle de monnaie de réserves conséquence, même en l’absence de convertibilité totale du compte de capital. Les liens commerciaux et d’investissement peuvent devenir des facteurs de renforcement de l’utilisation et de l’accumulation du RMB, malgré l’accès limité aux marchés financiers chinois. Mais ceci nécessite un soutien politique. La Chine doit assurer l’accès au RMB, par le biais de prêts ou de lignes de swap de la Banque Populaire de Chine (PBoC). Elle doit aussi garantir une convertibilité du RMB sur les marchés offshore, et assurer une valeur du RMB relativement stable et prévisible. L'internationalisation de la monnaie chinoise sans libéralisation complète du compte de capital exige donc que le RMB soit soutenu par des réserves en dollars. Ainsi, l'internationalisation du RMB ne devrait pas supplanter la domination du dollar.
Pourquoi la monnaie de la deuxième plus grande économie du monde ne joue-t-elle pas un rôle plus conséquent en tant que monnaie de réserve de change ? La part du renminbi (RMB) chinois dans les portefeuilles de réserve, autour de 2 % seulement, fait pâle figure face à celles du dollar (60 %) et de l'euro (20 %). Comment expliquer cette différence ?
Le sentiment général est que le renminbi (RMB) ne pourra pas avoir un poids significatif dans les portefeuilles de réserves des banques centrales en l’absence de libéralisation complète du compte de capital de la Chine (Frankel 2011 ; Prasad 2021). Ce point de vue repose sur l'hypothèse que les pays ne souhaitent pas détenir de réserves en une devise qu’ils ne peuvent pas facilement acheter et vendre sur les marchés internationaux. Il est étayé par l'histoire de l'ascension de la livre sterling puis du dollar comme principales devises internationales au 20e siècle, toutes deux échangées sur des marchés profonds et liquides.
Nous arguons du fait que l'internationalisation du RMB pourrait emprunter un autre chemin. L'accès illimité à des marchés de capitaux chinois profonds et liquides ne sera pas nécessairement essentiel, en fait, à l'internationalisation du RMB.
Historiquement, les devises d’envergure internationale ont d'abord acquis un rôle dans la facturation des échanges commerciaux avant d’obtenir le statut de monnaie de réserve internationale. Le RMB peut de la même manière acquérir un rôle plus important de monnaie de réserve grâce aux liens commerciaux de la Chine. La Chine a établi un réseau mondial de compensation et de paiement, de sorte qu'il est désormais possible d'effectuer des transactions transfrontalières en RMB dans un grand nombre de juridictions différentes. En utilisant les données sur les réserves en RMB par pays, nous documentons une corrélation significative entre le commerce d'un pays avec la Chine et ses réserves en RMB, et ce malgré l'ouverture limitée du compte de capital chinois. Facturer les transactions et accepter les paiements en RMB, la monnaie de référence des banques et des entreprises chinoises, est un moyen de renforcer les liens économiques entre la Chine et le reste du monde. En effet, le rapport entre les réserves totales en RMB et le commerce facturé en RMB (au niveau mondial) est proche du rapport entre les réserves totales en euros et le commerce total facturé en euros (voir figure 1). Cette observation est frappante, au regard du faible degré d'ouverture du compte de capital de la Chine.
Mais la capacité d'accumuler des réserves libellées en RMB n'est pas synonyme de volonté de les détenir. Pour ce faire, les marchés offshore de RMB et les lignes de swap des banques centrales ont un rôle essentiel. La PBoC a négocié des accords bilatéraux de swap de devises avec au moins 39 banques centrales, pour un montant total proche de 3 700 milliards de RMB (550 milliards de dollars). Bien que ces lignes ne soient ni permanentes, ni illimitées, elles constituent une source potentielle de RMB auprès de la banque centrale chinoise en cas de nécessité. Le marché offshore rassure quant à lui les investisseurs, en particulier les gestionnaires de réserves des banques centrales, sur le fait qu'ils peuvent convertir des RMB en dollars à des prix raisonnablement stables et prévisibles. Tout comme le marché de l'or de Londres était une soupape de sécurité pour les détenteurs de dollars dans les années 1960, le marché offshore du RMB à Hong Kong est une soupape de sécurité pour les détenteurs de RMB aujourd'hui.
La stabilité et la prévisibilité du taux de change exigent que les autorités chinoises puissent avoir une influence sur la valeur du RMB, ce qui passe par une détention d’importantes réserves en dollars. Ceci implique que le renforcement du rôle du RMB en tant que monnaie de réserve n'éliminera pas automatiquement celui du dollar. Au contraire, la Chine devra détenir des réserves en dollars pour que les autres pays acceptent de détenir des réserves en RMB. Les deux monnaies de réserve seront ainsi complémentaires, et non substituables.
La détention de dollars peut présenter des inconvénients pour la Chine, dans la mesure où cela crée une dépendance vis-à-vis des États-Unis. Mais c’est aussi le seul moyen pour la Chine de faire du RMB une monnaie de réserve importante en l’absence de libéralisation totale de son compte de capital. La question de savoir combien de dollars la Chine doit détenir pour soutenir l’internationalisation du RMB reste toutefois ouverte.
Mis à jour le : 18/11/2022 17:44