Ce papier construit une base de données annuelle de consommation par quintiles de revenu pour la France depuis 1989 afin de comparer les inégalités de consommation avec les États-Unis. Tout d’abord, nous établissons une correspondance entre les données de consommation de l’enquête des ménages menée tous les cinq ans avec les comptes nationaux. Nous utilisons un filtre de Kalman qui tire parti des données annuelles des comptes nationaux pour interpoler les données manquantes de l’enquête. Nous validons cette technique en la testant sur des données américaines pseudo-manquantes, comparables à nos données françaises, mais où l’enquête, annuelle, permet de vérifier la performance de notre technique. Deuxièmement, nous construisons pour les US une base de données sur la consommation par quintile de revenu compatible avec la classification française des postes de consommation et comparons les tendances des inégalités de consommation entre les US et la France. Nous montrons que l'inégalité de consommation est globalement plus faible que l’inégalité de revenu, et les deux ne suivent pas forcément la même dynamique. L’inégalité de consommation est plus élevée aux US qu’en France. Enfin, nous construisons des déflateurs de consommation par quintiles. Nous constatons que la dispersion des pressions inflationnistes à travers la distribution des revenus est moins marquée en France qu'aux US, mais reste néanmoins faible dans les deux pays.
L'environnement de taux d'intérêt extrêmement bas au cours de la dernière décennie a suscité un débat sur les conséquences redistributives de la politique monétaire. Afin de comprendre les facteurs conjoncturels et structurels des inégalités, ainsi que l’effet redistributif de la politique monétaire, la plupart des recherches se sont concentrées sur les inégalités de revenu et de patrimoine, en raison de la disponibilité de données très granulaires et souvent à partir de sources administratives. Toutefois, il est très important d’examiner les inégalités de consommation du point de vue du bien-être, dans la mesure où les variations de revenu et de patrimoine au cours du cycle d’activité n’ont d’importance que si elles se traduisent par des variations des inégalités de consommation.
Dans cet article, nous comblons cette lacune de la littérature et nous nous concentrons sur les inégalités de consommation. Étant donné que la consommation pour l’ensemble de la distribution des revenus est généralement mesurée par le biais d’enquêtes auprès des ménages, qui sont souvent peu nombreuses ou peu fréquentes, nous élaborons une méthodologie pour remédier à la faible fréquence des enquêtes existantes. Nous appliquons cette méthodologie à la France, où l’enquête « Budget de famille » est réalisée tous les cinq ans, pour fournir une mesure annuelle de la consommation par quintile de revenu. Notre base de données annuelle permet ainsi d’étudier l’évolution des inégalités de consommation sur le long terme en France, entre 1989 et 2019.
Notre méthodologie repose sur l’appariement et le redimensionnement des données désagrégées de consommation tirées de l’enquête auprès des ménages, qui sont disponibles tous les cinq ans, avec la consommation agrégée tirée des comptes nationaux. Nous obtenons alors un ensemble de données de « comptes nationaux de distribution », à fréquence faible. Nous utilisons ensuite un filtre de Kalman augmenté, en exploitant des contraintes linéaires implicites et le revenu annuel disponible par quintile comme variables explicatives, pour interpoler les observations manquantes relatives à la consommation. Nous testons d'abord cette méthodologie a posteriori pour les États-Unis, où l'enquête est menée chaque année. Nous montrons que le filtre de Kalman domine largement les méthodes d’extrapolation linéaire. Il permet une meilleure estimation des variations conjoncturelles, ce qui est important lorsque l’on cherche à analyser les variations au cours du cycle économique. La contribution de notre méthodologie est de deux ordres : i) nous élaborons des séries de consommation par quintile cohérentes entre l’enquête sur le budget des ménages et les comptes nationaux, ce qui permet d’obtenir des estimations harmonisées dans le temps et entre différents pays, donc une comparaison pertinente sur ces deux dimensions; ii) notre méthodologie est applicable à tout pays pour lequel les données d’enquêtes sur la consommation des ménages sont peu fréquentes.
Dans le graphique ci-dessus, nous comparons nos données de consommation par quintile (en parts de la consommation totale), obtenues directement à partir de l’enquête sur le budget de famille, avec les données obtenues en appariant les 12 catégories de consommation des comptes nationaux avec leur équivalent d’enquête. Il est particulièrement important d’apparier ces deux ensembles de données, car ils produisent des parts de consommation sensiblement différentes, notamment pour les quintiles inférieur et supérieur.
À partir de l’ensemble de données annuelles construites pour la consommation par quintile de revenu, nous élaborons des mesures des inégalités de consommation pour la France et les États-Unis. Nous constatons que les inégalités de consommation sont globalement bien inférieures aux inégalités de revenus. En outre, les inégalités de consommation ne semblent pas refléter l'évolution des inégalités de revenus. Alors que les inégalités de consommation sont restées plutôt stables aux États-Unis, les inégalités de revenus se sont accrues. Sur l’ensemble de la période, la France a enregistré une hausse modérée des inégalités de consommation, mais une hausse plus importante des revenus. En France, les inégalités de consommation ont augmenté jusqu’aux années 2000 pour ensuite diminuer lentement tandis que les revenus ont connu des variations plus importantes, avec des hausses et des baisses plus prononcées sur les mêmes sous-périodes. Enfin, les inégalités de consommation et de revenus sont beaucoup plus faibles en France qu'aux États-Unis.
Enfin, nous calculons des déflateurs de consommation et des indices de prix pour l’ensemble de la distribution des revenus. Nous présentons de légères différences entre les quintiles de revenus, légèrement plus importantes aux États-Unis. Cette dispersion entre quintiles s’accroît légèrement une fois que nous atteignons un niveau de désagrégation plus faible, ce qui suggère que l’hétérogénéité des prix se situe probablement à l’intérieur, et non entre les grandes catégories de consommation que nous avons utilisées.
Mis à jour le : 24/01/2023 10:12