Nous étudions les effets réels d’une obligation de transparence de l’empreinte climatique des institutions financières sur leur financement des industries carbonées, en nous concentrant sur les montants investis dans les titres (actions et obligations) émis par les entreprises fossiles. Une loi française entrée en vigueur à partir de Janvier 2016 à la suite des Accords de Paris nous fournit une expérience quasi-naturelle. Cette nouvelle réglementation, unique en Europe sur la période, impose aux investisseurs institutionnels (assurances, fonds de pension et sociétés de gestion), mais pas aux banques, de rendre compte chaque année de leur exposition aux risques climatiques ainsi que de la contribution de leur politique d’investissement à la transition énergétique. Nous utilisons des données originales de détention de portefeuille titre par titre par secteur et pays de la zone euro, et comparons les choix de portefeuille des investisseurs institutionnels français avec ceux des investisseurs non concernés par la loi (institutions financières des autres pays de la zone euro et banques Françaises). Nous trouvons que les investisseurs soumis à la nouvelle réglementation ont réduit leur financement des énergies fossiles de près de 40% en termes relatifs par rapport au groupe de contrôle.
Suite aux appels à l'action lancés aux institutions financières lors du sommet de Paris en décembre 2015 (COP21), les coalitions pour un financement durable ont demandé aux investisseurs d'améliorer leur divulgation d'informations sur le climat sur une base volontaire. Dans ce document, nous nous demandons plutôt si le fait d'imposer une divulgation obligatoire aux institutions financières les amène réellement à se défaire des titres à forte intensité de carbone. Nous étudions les effets d'une loi française récente (article 173-6 de la loi TECV, pour Transition Energétique et Croissance Verte), qui a été la première à réglementer la divulgation d'informations liées au climat. Adoptée en août 2015 dans la perspective de la COP21, la loi est entrée en vigueur dès janvier 2016. Cette nouvelle réglementation - unique à l'époque - impose aux investisseurs institutionnels enregistrés en France un nouveau reporting détaillé à la fois sur leur exposition aux risques liés au climat et sur leurs efforts pour atténuer le changement climatique.
Nous nous concentrons sur la détention par les investisseurs de titres, obligations et actions, émis par des entreprises du secteur des énergies fossiles, responsables de la majeure partie des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). En 2019, le charbon, le pétrole et le gaz naturel représentaient 81 % de l'approvisionnement mondial en énergie primaire selon l'AIE, 75 % des émissions mondiales de GES et 90 % des émissions de dioxyde de carbone. Nous construisons d'abord une base recensant tous les titres, obligations et actions, émis par les entreprises d'énergie fossile dans le monde entier et en circulation au cours de la période allant du quatrième trimestre 2013 au troisième trimestre 2019. Nous les sélectionnons à partir de deux classifications sectorielles : la classification des entreprises de Thomson Reuters (TRBC) et le système de classification des industries de Bloomberg (BICS). Dans un deuxième temps, nous fusionnons cette liste de titres avec les statistiques sur les détentions de titres (SHS), un ensemble de données unique et exclusif de l'Eurosystème qui couvre l'univers entier des titres (obligations et actions) détenus par les investisseurs domiciliés dans la zone euro.
Nous fournissons d'abord de nouvelles informations sur le financement de l'industrie mondiale de l'énergie fossile. L'ensemble des investisseurs de la zone euro détenaient en septembre 2019 environ 600 milliards d'euros de titres émis par 2 157 entreprises du secteur des énergies fossiles dans le monde. Les investissements des institutions financières de la zone euro dans le secteur des énergies fossiles ont augmenté (en valeur de marché) depuis 2013, passant de 377 milliards d'euros à 488 milliards d'euros à la fin de notre période.
Nous exploitons ensuite cet ensemble de données pour analyser les conséquences de la loi française TECV de 2015. La richesse de nos données nous permet de bien identifier l’effet causal de la loi sur le montant des financements alloués à l'industrie des énergies fossiles. Les dispositions de l'article 173-6 visent en effet explicitement deux types d'institutions financières : les compagnies d'assurance et les fonds de pension, et toutes les autres sociétés de gestion d'actifs et fonds communs de placement, communément appelés "investisseurs institutionnels", mais pas les banques. Cela nous permet de disposer de groupes de contrôle et de traitement précis des secteurs détenteurs : nous comparons, avant et après décembre 2015, les détentions de titres individuels d'énergie fossile par les investisseurs institutionnels en France (traités) avec celles des banques en France et de tous les sous-secteurs financiers dans tous les autres pays (contrôles).
Nous trouvons que l’obligation de reporting climatique a entrainé une forte diminution relative de la détention de titres d'énergie fossile dans les portefeuilles des investisseurs traités une fois la loi TECV mise en œuvre, par rapport à la détention par notre groupe de contrôle. L'effet sur les investissements dans ces entreprises à forte intensité carbone est fortement significatif, tant sur le plan statistique qu'économique. Nos résultats indiquent une réduction relative des détentions de titre fossiles de 39 % en moyenne dans les portefeuilles des investisseurs traités. Si l'on prend comme référence le volume des encours investis dans les énergies fossiles par les investisseurs institutionnels français à la fin de 2015, cela suggère que 28 milliards d'euros de financements ont été redirigés hors de cette industrie par les investisseurs traités (mutatis mutandis).
Mis à jour le : 08/01/2021 19:16