Cet article constitue une première présentation de l’outil d’analyse des prospectus élaboré dans le cadre d’une coopération entre l’AMF et la Banque de France. Celui-ci vise à recenser les outils de gestion de la liquidité (liquidity management tools ou LMT) mis en place dans les fonds de droit français. Ce travail a été initié en 2019 afin de suivre dans le temps les progrès dans l’appropriation de ces dispositifs par les fonds, et pallier l’absence d’une base de données réglementaire exhaustive. La méthode d’analyse textuelle procède à une ‘lecture automatisée’ des prospectus, en recherchant des mots-clés et expressions associés aux outils de gestion de la liquidité. Malgré des limites évidentes, ce programme d’étude constitue une base de travail innovante et complémentaire des relevés qualitatifs ou partiels actuellement effectués sur le sujet, en fournissant une première estimation quantitative des outils mentionnés dans les prospectus (et donc déclarés auprès des porteurs).
Le code informatique pourra être adapté pour répondre à d’autres problématiques (frais, investissement responsable, etc.) ou encore étendu à d’autres juridictions (les prospectus étant par nature publics).
Avant de présenter les premiers résultats relatifs aux outils de gestion de liquidité évoqués dans les prospectus à fin 2019, il apparaît nécessaire de recenser et de décrire précisément ces outils, leur cadre juridique et réglementaire, ainsi que la manière dont ils sont formalisés (ou non) dans les prospectus. Cet article présente ainsi le cadre européen et français en matière de gestion de la liquidité (partie 1) et décrit les outils disponibles à la main des gérants (partie 2). La dernière partie présente les résultats de l’analyse des prospectus de fonds français à fin 2019. Ce travail, qui porte sur 9 768 prospectus de fonds vivants au 31 décembre 2019 représentant un actif net total de 1 600 milliards d’euros (soit 98 % de l’actif net total des fonds français), donne une première vision quantitative des outils de gestion de la liquidité mentionnés dans les prospectus, détaillée par grands types de fonds mais aussi par classes d’actifs.
Il ressort de cette analyse que, au 31 décembre 2019, la possibilité de suspendre totalement les rachats dans des circonstances exceptionnelles était mentionnée dans 71 % des prospectus (82 % de l’actif net total), et la faculté de proposer un remboursement en nature était indiquée pour 65% des classes de parts (74 % de l’actif net), même si les conditions d’exercice d’une telle option la rendent difficile à mettre en oeuvre en pratique. 14 % de l’actif net des fonds français était couvert par la mention dans le prospectus d’au moins un outil de gestion de liquidité au sens strict, les droits ajustables acquis au fonds (anti-dilution levies), les plafonnements des rachats (gates) ou la prise en compte dans la valeur liquidative des coûts de réajustement du portefeuille (swingpricing). Les anti-dilution levies étaient les moins courants (ils ne concernaient que moins de 2 % de l’actif net des fonds français). Venait ensuite le swing-pricing pour 6 % de l’actif net et les gates pour 9 %.
Les OPCVM, et notamment les OPCVM qui mesurent leur risque global selon la méthode de la valeur en risque (VaR), semblent avoir davantage recours à ces deux derniers outils : le swing-pricing est indiqué pour 36 % de l’actif net des OPCVM en VaR et 16 % de l’actif net des OPCVM, alors que les gates le sont pour respectivement 35 % et 14 % de l’actif net. Les prospectus des FIA font beaucoup moins souvent référence à ces outils : ils concernent 6% de l’actif net pour les gates, et moins de 0,5 % pour les deux autres.
En termes de stratégie d’investissement et de classes d’actifs, le mécanisme d’anti-dilution levy est davantage mentionné par les fonds actions (7 % de l’actif net), et par les fonds autres (9 %) alors qu’il est quasiment inexistant dans les autres classes d’actifs. Les fonds réputés moins liquides sont les plus couverts par les gates, qui concernent 19 % de l’actif net des fonds immobiliers, 15 % des fonds autres et 32 % de l’actif net des hedge funds. Enfin, le swing-pricing est surtout mentionné par les fonds obligataires (19 % de leur actif net).
Un effort de pédagogie est nécessaire pour permettre une meilleure appropriation des outils de gestion de liquidité par les fonds, mais aussi leur acceptation par les investisseurs, tant particuliers qu’institutionnels.
Au vu de l’actualité économique et financière dans le contexte de la pandémie Covid-19, il est possible que certaines contraintes réglementaires soient adaptées – ce document peut néanmoins constituer un recensement utile des outils pré-crise. À l’avenir, ce travail pourra permettre le suivi dynamique de la mise en place des outils dans les fonds français, être étendu à d’autres juridictions, ou à d’autres problématiques.