Les modèles macroéconomiques présupposent généralement que les taux d'intérêt bancaires s'ajustent de la même manière à la hausse et à la baisse suite aux chocs économiques. Or, l’analyse empirique suggère que les taux des prêts bancaires sont rigides à la baisse. Les banques ont tendance à ajuster leurs taux des prêts lentement et moins que proportionnellement en réponse à un assouplissement de la politique monétaire, alors qu'elles les augmentent assez rapidement et dans une proportion à peu près identique en réponse à un resserrement des taux directeurs. C’est le cas par exemple dans la zone euro, comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Quels sont les effets macroéconomiques de la rigidité à la baisse des taux d'intérêt ? Ne pas en tenir compte dans les modèles macroéconomiques a-t-il des conséquences importantes ?
Dans cet article, nous traitons cette question en introduisant dans un modèle d'équilibre général dynamique et stochastique des coûts d'ajustement asymétriques sur les changements de taux des prêts bancaires. Cette asymétrie est étalonnée de telle sorte que notre modèle reproduit la (faible) variance empirique et la skewness (significativement positive) des variations annuelles des taux d'intérêt des prêts aux entreprises et des prêts hypothécaires observées en zone euro.
Nous comparons ensuite les effets sur l'économie réelle de divers chocs structurels, en présence de cette asymétrie des taux d'intérêt. Nous trouvons que la différence de réponse initiale du PIB à des chocs positifs et négatifs de même ampleur peut atteindre jusqu'à 25 %. Cela implique qu'une banque centrale devrait davantage réduire son taux directeur pour obtenir un impact à moyen terme sur le PIB qui serait exactement symétrique à l'impact d'un choc impliquant une augmentation du taux directeur. Ceci renvoie à la fameuse métaphore qui fait des taux directeurs un instrument de politique monétaire assimilable à une « corde ». Alors qu’il est opportun de tirer sur cette corde (politique monétaire restrictive) pour freiner un excès de demande et d’inflation, il est vain de pousser sur cette corde (politique monétaire accommodante) pour stimuler dans les mêmes proportions la demande et les prix, en période de ralentissement économique. Nous examinons alors l'effort que la banque centrale pourrait réaliser pour compenser la rigidité à la baisse des taux bancaires. Il est trouvé qu’une banque centrale devrait diminuer son taux directeur de 20 à 100 % de plus pour obtenir un impact à moyen terme sur le PIB qui soit symétrique à celui d'un choc monétaire positif.
Enfin, en étudiant la période post-2012, nous montrons que la rigidité à la baisse des taux d'intérêt est encore plus forte lorsque les taux directeurs sont à leur borne inférieure effective. Ceci est principalement dû à l'existence d'une borne inférieure sur les taux des dépôts mais aussi à une borne inférieure sur les taux bancaires imputable au modèle économique des banques. Cette borne inférieure réduit l'efficacité de la politique monétaire en période de taux d'intérêt ultra bas. Elle justifie donc une forte réaction aux chocs négatifs. Ce résultat conforte par exemple les mesures non conventionnelles exceptionnelles mises en œuvre par les banques centrales en 2020 en réponse à l'impact économique de la pandémie de Covid-19.
Plus généralement, nos résultats montrent que négliger la rigidité à la baisse des taux d'intérêt bancaires dans les modèles macroéconomiques peut conduire à des recommandations de politique monétaire erronées.