Document de travail n°796 : Cette ville n’est pas assez grande ? Quantifier les effets de débordements des biens publics locaux

Quel est le niveau géographique optimal de production des biens publics ? Malgré un intérêt persistent parmi les décideurs publics et les économistes, cette question a fait l’objet de relativement peu de travaux empiriques. Ce papier développe un méthodologie simple et flexible permettant de tester la présence d’effets de débordements des biens publics locaux entre collectivités avec autonomie fiscale, et d’estimer les potentiels effets positifs d’une réforme qui fusionnerait les collectivités à un échelon géographique supérieur. On appelle effets de débordement le fait qu’un bien public produit et financé par une collectivité peut être valorisé et utilisé par des habitants d’autres collectivités. On construit un modèle quantitatif d’équilibre spatial où les individus choisissent dans quelles collectivités ils veulent habiter, et où leur choix dépend de la quantité de bien public produit par les collectivités, ces biens publics pouvant faire l’objet d’effets de débordement en dehors de leurs frontières juridiques. On montre comment il est possible d’utiliser les variations de la population et des prix de l’immobilier des collectivités en réponse à des chocs de biens publics, à différents niveaux de collectivités, pour mettre en évidence l’intensité des effets de débordements. En appliquant la méthodologie développée au cas des communes et communautés de communes françaises, on estime structurellement le modèle grâce à une riche combinaison de données administratives. L’estimation repose sur des variations plausiblement exogènes des subventions de l’État aux communes qui nous permettent d’instrumenter les variations de biens publics locaux. On trouve que les biens publics de la commune de résidence d’un habitant représente environ 4--11% du panier de biens publics qu’il valorise et que les biens publics des communes de la même communauté de communes représentent, chacun, en moyenne 3.2--3.5% de ce panier. Dans un dernier exercice on simule les effets d’une réforme qui fusionnerait les communes au niveau de leur communauté de communes et on trouve des effets positifs substantiels.
Mots-clés : Bien public local, Effets de débordements, Équilibre spatial général, Tiebout, Économie du Bien-être, Subventions de l’État

Prenons une économie divisée en de nombreuses collectivités locales. Qui doit produire et fournir les services et infrastructures publics locaux ? Les collectivités locales ou l’État ? Pour répondre à cette question, nous devons modéliser et estimer les avantages et les inconvénients de la centralisation versus décentralisation. La décentralisation est inefficace s’il existe des effets de débordement, c'est-à-dire si les biens publics locaux d'une collectivité profitent aussi aux habitants des collectivités voisines. Lorsque ces effets sont importants, les collectivités ne produisent pas suffisamment de biens publics locaux car elles n'internalisent pas le fait que d’autres habitants les utilisent. En outre, les collectivités peuvent sciemment profiter, sans payer, des biens publics des collectivités voisines, aggravant ainsi la sous-production de biens publics. A l’inverse, la centralisation est inefficace car le décideur central ne connait pas précisément les préférences des populations locales et ne peut s’adapter finement aux besoins. In fine, connaître l’intensité des effets de débordements est crucial pour déterminer le niveau optimal de décentralisation.

Malgré un intérêt théorique de longue date, les tentatives empiriques d’estimation de l'intensité des effets de débordements des biens publics locaux et, partant, le niveau approprié de décentralisation, restent rares.  Cet article développe un cadre simple et flexible pour tester la présence d’effets de débordements des biens publics entre des collectivités autonomes fiscalement. Il permet ainsi d’estimer les potentiels gains qui résulteraient d'une plus grande intégration fiscale de collectivités existantes.

Nous construisons un modèle quantitatif d'équilibre spatial avec de nombreuses juridictions locales et des ménages mobiles qui choisissent dans quelle juridiction ils vivent. Les équipements locaux, les loyers, les salaires et le bien public local caractérisent les juridictions.  Les habitants de la juridiction votent pour la quantité de biens publics locaux et les taxes qui maximisent leur utilité. Les salaires et les loyers caractérisent les marchés du travail et du logement. Les habitants d'une juridiction peuvent apprécier les biens publics locaux d'une juridiction voisine ; il peut donc y avoir des effets de débordements des biens publics locaux au-delà de leurs frontières administratives.

Nous montrons comment on peut exploiter les réactions de la population et des prix du logement à des chocs de biens publics locaux, à différentes échelles géographiques de collectivité, pour déterminer l'intensité des effets de débordements. Nous nous intéressons à deux échelles de collectives, les plus petites sont incluses dans les plus grandes, d’un niveau supérieur (par exemple en France les communes sont inclues dans les EPCI). Une réponse plus importante, en termes de population, de consommation de logement et de prix du logement, des EPCI par rapport aux communes, est, selon notre modèle, la preuve qu’il y existe des effets de débordements entre les communes d’une même EPCI.  

Nous appliquons notre modèle au cadre institutionnel français, particulièrement fragmenté. Nous procédons à une estimation structurelle en utilisant une combinaison unique de données administratives sur les communes et les EPCI.  L'estimation repose sur des variations exogènes des subventions d’investissement aux communes que nous utilisons pour instrumenter les variations de biens publics.

Nous constatons que les biens publics d'une municipalité représentent 4 à 11 % de l'ensemble des biens publics locaux dont bénéficient ses résidents, et que les biens publics de chaque municipalité voisine représentent en moyenne 3,2 à 3,5 % de cet ensemble. Enfin, nous simulons l'effet d'une réforme renforçant l'intégration fiscale et constatons des gains substantiels en termes de bien-être.

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Document de travail n°796 : Cette ville n’est pas assez grande ? Quantifier les effets de débordements des biens publics locaux
  • Publié le 30/12/2020
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Mis à jour le : 08/01/2021 14:45