Document de travail n°657 : Comment interpréter la relation entre la taille des entreprises et la marge intensive de leur demande en intrants intermédiaires importés ?

Dans cet article, nous nous appuyons sur des données micro-économiques d’entreprises françaises pour tester une propriété très générale des modèles d’import « à entreprises hétérogènes » proposés dans la littérature. Ces modèles reposent tous sur les hypothèses suivantes : la productivité des entreprises est supposée neutre par rapport aux facteurs de production, et les prix des intrants ainsi que leur qualité sont supposés identiques pour toutes les entreprises. Dans un tel cadre, il est possible de montrer qu’il ne devrait y avoir aucun lien entre la taille d’une entreprise et la décomposition de ses dépenses en intrants intermédiaires entre ses différentes variétés, une fois contrôlé de la marge extensive (c’est-à-dire de la liste des variétés d’intrants importés par l’entreprise). Cette propriété est cependant rejetée par les données. En contrôlant pour le choix des variétés importées, nous montrons que les entreprises de plus grande taille (i) présentent des parts de dépenses en intrants importés (dans le total des dépenses en consommations intermédiaires) plus faibles (ii) concentrent davantage leurs dépenses sur leurs principales variétés importées et (iii) paient des prix plus élevés pour leurs consommations intermédiaires importées. Ces résultats « à la marge intensive » impliquent que les entreprises de grande taille bénéficient relativement moins du commerce en biens intermédiaires que les entreprises de plus petite taille. Ils suggèrent de plus l’existence de complémentarités entre la productivité des entreprises et la qualité de leurs consommations intermédiaires.

Dans cet article, nous étudions les propriétés d'une large classe de modèles décrivant les comportements à l'importation des entreprises. Cette classe de modèles couvre la plupart des cadres théoriques proposés dans la littérature sur le commerce en bien intermédiaires (par exemple Goldberg et al., 2010, Halpern et al., 2015, Gopinath et Neiman, 2014 ou Antràs et al., 2017) et repose sur les hypothèses suivantes : les entreprises sont supposées produire en utilisant des intrants intermédiaires qui peuvent être achetés sur le marché national ou à l'étranger. Ces différentes variétés d'intrants sont imparfaitement substituables. La technologie de production est également caractérisée par des rendements d'échelle constants, conditionnellement à l'ensemble des variétés d'intrants utilisées. Nous supposons également que les entreprises ne disposent pas de pouvoir de marché pour l'achat de leurs intrants, dont l'offre est supposée commune (en qualité, et en prix) à toutes les entreprises. Nous n'imposons en revanche aucune restriction sur les conditions de concurrence sur leurs propres marchés finaux. Enfin, la productivité des entreprises est supposée neutre par rapport aux facteurs de production.

Une prédiction de la classe de modèles ainsi définie est que, conditionnellement aux choix des variétés d'intrants intermédiaires utilisées dans la production, les distributions des dépenses des entreprises entre ces différentes variétés ne devraient dépendre que de leur prix et de leur qualité. Deux entreprises utilisant les mêmes intrants devraient donc présenter des distributions de dépenses identiques. En ce sens, dans cette classe de modèles, la marge intensive du commerce en intrants intermédiaires est homothétique.

Les analyses empiriques montrent cependant que ces prédictions sont rejetées par les données. Nous montrons tout d'abord qu'il existe une forte hétérogénéité entre entreprises concernant la distribution de leurs dépenses en intrants intermédiaires, même une fois contrôlée de la marge extensive. L'analyse d'un cas particulier, celui des machines d'emballage industriel, permet d'illustrer ce point. Les entreprises françaises qui importent ce produit d’Italie et d’Allemagne présentent des distributions de dépenses entre ces deux variétés très hétérogènes : tandis que 25 % d’entre elles allouent plus de 90 % de leurs dépenses à la variété allemande, une proportion comparable fait le choix opposé, en achetant quasi-exclusivement la variété italienne de ce produit. Nous montrons qu’une telle situation de « désaccord » n’est pas spécifique à ce produit précis : elle est au contraire très générale, observable pour la plupart des produits.

Nous montrons également que cette hétérogénéité entre entreprises n’est pas purement aléatoire, mais corrélée de façon systématique à leur taille : les entreprises de grande taille présentent des intensités d’importation systématiquement plus faibles, une fois contrôlé de la marge extensive. Ces intensités d’importation plus faibles, qui synthétisent l’impact sur la productivité des entreprises du commerce international en bien intermédiaires (Blaum et al., 2016), indiquent que les entreprises de grande taille en bénéficient relativement moins, toutes choses égales par ailleurs et à stratégie d’approvisionnement donnée, que les entreprises de plus petite taille.

Les entreprises de grande taille présentent également des parts de dépenses allouées aux variétés importées significativement plus concentrées (voir figure), que ce soit sur la variété principale associée à chaque produit ou sur les variétés de « rang » élevé. Une fois contrôlé de la marge extensive, elles s’acquittent également de prix plus élevés, un fait stylisé qui corrobore les résultats précédemment obtenus par Kugler et Verhoogen (2012), et que nous interprétons de la même façon, comme l’indice probable de complémentarités entre la productivité des entreprises et la qualité des intrants intermédiaires qu’elles intègrent dans leur processus de production.

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Document de travail n°657 : Comment interpréter la relation entre la taille des entreprises et la marge intensive de leur demande en intrants intermédiaires importés ?
  • Publié le 27/12/2017
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Mis à jour le : 27/12/2017 11:17