Cet article examine la capacité des règles de politique monétaire à coordonner les anticipations des agents privés lorsque la règle peut éventuellement être enfreinte. Nous montrons que la possibilité d’enfreindre la règle permet d’éviter les trajectoires divergentes d'inflation, de sorte que les variables nominales demeurent toujours bornées à l’équilibre. En particulier, cela rend le principe de Taylor nécessaire et suffisant pour la détermination des prix lorsque les agents s'attendent à une règle de Taylor. Toutefois, la possibilité d’enfreindre la règle peut aussi conduire les agents à anticiper rationnellement plusieurs politiques et nous montrons qu'en général il n'existe pas de règle politique capable de coordonner n’importe quelles croyances des agents privés sur celle-ci. Nous fournissons enfin des conditions suffisantes pour qu’une telle recoordination puisse avoir lieu.
Les gouvernements et les banques centrales s'appuient de plus en plus sur des règles pour améliorer l'efficacité des politiques budgétaires ou monétaires : l'adoption d'une règle permet à la fois de surmonter les problèmes potentiels d'incohérence temporelle - les politiques souhaitables ex ante peuvent être ex post sous-optimales - et aide à mieux guider les anticipations du secteur privé vers les résultats économiques souhaités, simplement en rendant les décisions politiques plus transparentes et plus prévisibles.
Toutefois, les décideurs préfèrent parfois enfreindre les règles, par exemple, lorsque le coût de l'adhésion à la règle devient plus élevé que le coût de l'infraction à la règle. En effet, il est peu probable qu’il n’y est pas de limite à la mise en application d'une règle politique. Mais si les règles peuvent être enfreintes, à quoi pouvons-nous réellement nous attendre de la part d'un décideur politique qui suit une règle politique ? La possibilité d'enfreindre la règle supprime-t-elle complètement l'utilité des règles et en particulier la capacité des règles à guider les anticipations des agents privés sur l’équilibre économique désiré - ce que l'on appelle la détermination des prix ?
Dans ce document, nous examinons la capacité des règles de politique à coordonner les agents privés lorsque les incitations à respecter les règles sont limitées. Nous caractérisons l'ensemble des équilibres produits par les règles de politique monétaire lorsque la mise en application est limitée et nous explicitons les conditions pour lesquelles l'anticipation d'une règle de politique monétaire assure la détermination des prix et, plus généralement, les conditions pour lesquelles la banque centrale peut coordonner les agents privés sur le résultat souhaité.
Notre premier résultat clé mais intuitif est que, lorsque l'application de la règle politique est limitée, le taux d'inflation d'équilibre est borné dans tous les équilibres. Une inflation divergente conduit à des pertes illimitées qui, si l'inflation est coûteuse pour le banquier central, pousseraient la banque centrale à s'écarter de sa politique dans la mesure où enfreindre la règle n’est pas infiniment couteux. Cette incitation à s'écarter de l'équilibre lorsque les taux d'inflation deviennent trop élevés survient même dans les cas où le banquier central peut soutenir sa meilleure politique.
Ce résultat simple a trois implications principales pour la politique monétaire. Premièrement, il est nécessaire et suffisant de rechercher des équilibres nominalement bornés pour vérifier la détermination. Dans le cas des politiques linéaires, cela revient à vérifier les conditions de Blanchard et Kahn (1980). Deuxièmement, si l'on estime que la mise en application des règles politiques est limitée, il ne sert à rien d'essayer de concevoir des règles visant à écarter les trajectoires nominales divergentes, car seules les allocations bornées comptent pour la détermination. Troisièmement, nous montrons qu'en cas de mise en application limitée, le principe de Taylor – le fait que le taux d'intérêt nominal doive réagir de plus d'un pour un aux variations de l'inflation - est à la fois nécessaire et suffisant pour assurer la détermination des prix.
Mais une mise en application limitée peut aussi permettre aux agents d'anticiper d'autres politiques, ce qui conduit à des équilibres alternatifs. En fin de compte, la banque centrale risque de ne pas coordonner les agents non pas parce qu’elle compte suivre une mauvaise politique mais plutôt parce que les agents anticipent d’autres politiques. Dans le langage des banques centrales, il y a un risque de désancrage des anticipations : les agents privés commencent à avoir des opinions sur les politiques futures qui ne sont pas compatibles avec la politique envisagée par la banque centrale.
Dans ce contexte, nous montrons d'abord qu'il n'existe pas de politique qui, quelles que soient les croyances des agents privés a priori, permettrait à la banque centrale de résoudre le problème de coordination et amènerait les agents privés à modifier leurs croyances en conséquence. Les croyances politiques a priori déterminent l'équilibre et le décideur politique ne peut pas toujours freiner ces croyances politiques pour coordonner les antipications des agents privés sur la politique souhaitée.
Malgré ce résultat négatif, nous montrons que certaines règles peuvent avoir le pouvoir d’écarter certaines croyances incohérentes. Cela se produit à trois conditions : i) les agents privés ne doivent hésiter qu'entre des politiques que l'on peut distinguer, ii) il y a un nombre suffisamment important d'agents qui anticipent la politique souhaitée par la banque centrale et iii) la politique de la banque centrale conduit à des gains à long terme suffisamment importants par rapport aux autres politiques que le secteur privé anticipe. Sous ces conditions, la banque centrale juge optimal de suivre la règle qu'elle s'est fixée, ce qui, en fin de compte, conduit tous les agents à réévaluer leurs croyances. Nous donnons des exemples d'une telle recoordination des croyances lorsque les croyances a priori ne sont pas trop éloignées de la règle de Taylor.
En fin de compte, notre document suggère que les problèmes de détermination considérés par la littérature académique ne sont pas aussi importants qu'on le prétend habituellement parce que l'application limitée de la loi réduit l'ensemble des équilibres. Toutefois, nos résultats soulignent qu'il n'est pas toujours possible de coordonner les croyances des agents privés sur une politique donnée, car ces croyances modifient les incitations du banquier central à suivre une politique donnée. Nous trouvons des situations dans lesquelles il existe un seuil sur les croyances politiques en deçà duquel le décideur n'est pas incité à suivre la politique qu'il souhaite : cela fait écho à l'accent mis régulièrement par les banques centrales sur le risque de désancrage de l'inflation et sur le suivi des anticipations des agents privés comme s'ils craignaient que le désancrage nominal ne soit un mécanisme non linéaire un peu à la manière d’un changement de régime.
Mis à jour le : 21/11/2018 09:04