Cet article montre que lorsque les agents apprennent à partir des prix, une grande incertitude privée peut résulter d'une faible hétérogénéité. Comme dans le modèle des îles de Phelps et Lucas, les producteurs finaux examinent les prix de leurs facteurs productifs locaux pour former des anticipations des conditions agrégées. Cependant, les liens de marché entre les îles rendent l'informativité des prix locaux endogène aux relations d'équilibre général. Dans ce contexte, je montre qu’une hétérogénéité des conditions locales infinitésimale est suffisante pour générer un équilibre dans lequel les prix sont rigides aux chocs agrégés et ne transmettent que de l’information partielle. J'utilise cette idée comme un fondement microéconomique de la rigidité des prix dans un modèle monétaire sans aucune autre friction et montre que même une infime quantité de dispersion dans les fondamentaux peut conduire à une grande non-neutralité de chocs monétaires.
La rigidité globale des prix est une régularité importante des cycles économiques. En particulier, l'efficacité de la politique monétaire repose sur la lenteur de la réaction des prix aux chocs globaux. Par conséquent, ce qui détermine la rigidité globale des prix est l'une des questions cruciales en macroéconomie. Robert Lucas Jr. et Edmund Phelps ont été les premiers à soutenir que des retards dans l'acquisition d'informations sur un changement des conditions agrégées peuvent engendrer une rigidité globale des prix. Pour formaliser cette idée, ils ont créé la fiction d'une économie segmentée en îles. Chaque producteur ne voit que les prix locaux des intrants échangés dans sa propre île; pour cette raison, il ne sait pas très bien si l'évolution des prix reflète des fluctuations locales plutôt que des fluctuations globales. Bien qu'ils soient très influents, l'un des problèmes de ces modèles réside dans le fait que les marchés doivent être fortement fragmentés et que les facteurs économiques fondamentaux doivent être largement dispersés pour que le modèle puisse prédire le niveau élevé de rigidité des prix que nous observons dans les données.
Cet article démontre que l'intuition de Lucas-Phelps est beaucoup plus solide qu'on ne le pensait auparavant. Je montre que lorsque les agents apprennent des prix, une dispersion arbitraire des fondamentaux peut conduire à une rigidité substantielle des prix. Le résultat est obtenu dans une économie segmentée en îles augmentée avec des liens de marché entre les îles. En particulier, je modélise les facteurs productifs locaux comme étant à leur tour la production d'entreprises locales intermédiaires en concurrence sur un marché global pour le même facteur commun. Le prix de ce facteur global détermine chaque prix local des intrants conjointement avec d'autres perturbations locales. Les forces du marché déterminent donc le degré de réaction des prix aux facteurs globaux plutôt que locaux. En conséquence, les informations révélées par les prix locaux sur les conditions globales peuvent rester très faibles, même dans la limite où les fondamentaux du marché sont presque homogènes d'une île à l'autre et où les producteurs observent presque tous le même prix.
La figure ci-dessous illustre comment de tels équilibres peuvent se former dans un simple graphique de l'offre et de la demande. Dans les tableaux ci-dessous, nous mesurons les prix et les quantités sur l'axe des abscisses et sur l'axe des ordonnées, respectivement; de plus, la ligne grise horizontale k représente une courbe d’offre, tandis que la ligne noire raide D représente une courbe de demande, sur le marché des facteurs productifs locaux. Supposons que la demande et l'offre montent en réaction à une information sur un choc global positif thêta. Considérons maintenant qu'un choc global est connu par les vendeurs qui déplacent l'offre vers le haut (flèche grise pointillée). Dans le panel (a) je représente un cas dans lequel la demande ne bouge pas car les acheteurs n'ont aucune information sur le thêta: dans un tel cas, le prix de l'équilibre r devient négatif pour que le marché absorbe une offre plus importante. Dans le tableau (b) j'illustre le cas où les acheteurs disposent d'une information complète: la demande monte (flèche noire) et le prix d'équilibre se déplace à droite. En particulier, lorsque la demande se déplace plus que l'offre, le prix d'équilibre devient positif. Dans ces conditions, l'équilibre comme celui tracé dans le panneau (c) peut émerger. Dans un tel équilibre, les acheteurs ne reçoivent qu'une information partielle sur le thêta, de sorte que la demande augmente juste assez pour que les prix restent arbitrairement proches de leur valeur stationnaire. Dans cette configuration, la réaction des prix au choc global peut être si faible que tout bruit idiosyncrasique - aussi petit soit-il - peut rendre les acheteurs partiellement informés et ainsi atteindre l'équilibre.
Dans l'article, je présente d'abord un modèle stylisé pour discuter du mécanisme principal. Ensuite, j'introduis un macro-modèle plus standard pour montrer que le même mécanisme peut avoir des fondements micro DSGE standard et que les enjeux précédents se répercutent dans des modèles plus riches.
Ces résultats apportent un éclairage nouveau sur la nature des rigidités des prix. Les travaux antérieurs s'appuient généralement sur des frictions dans la disponibilité ou l'utilisation de l'information sur le coût marginaux pour expliquer pourquoi les producteurs n'ajustent pas facilement les prix. La fixation des prix à la Calvo (Calvo, 1983), les coûts des menus (Sheshinski et Yoram, 1977), l'inattention (Reis, 2006) ou l'inattention rationnelle (Wienderholt et Mackowiak, 2009) sont quelques exemples populaires d'une littérature en constante augmentation. En revanche, les producteurs perçoivent précisément leurs coûts marginaux et ne sont pas contraints de fixer leurs prix.
Mis à jour le : 12/12/2017 09:43