Parmi les jeunes ménages (25 à 44 ans), les inégalités d’accès à la propriété et de montant de patrimoine immobilier acquis se sont accrues entre les plus modestes et les plus aisés au cours des quarante dernières années. Selon les enquêtes Logement (Insee), 32 % des jeunes ménages modestes étaient propriétaires en 1973, et seulement 16 % en 2013. Au-delà du rôle de facteurs macroéconomiques et institutionnels (prix de l’immobilier, taux d’intérêt, durée des prêts accordés, etc.), une décomposition des évolutions du taux de propriétaires à l’aide de la méthode « Oaxaca-Blinder » permet de mettre en évidence le rôle de l’évolution des structures familiales (proportion croissante de familles monoparentales, baisse de la part des couples avec enfants parmi les plus modestes) et de la forte diminution de la petite propriété rurale. L’aide de la famille – dons, héritages et autres formes – joue aussi un rôle important dans les années 2000 : quatre propriétaires récents sur dix en ont bénéficié, deux sur dix recevant même une aide financière directe pour l’achat. Ces aides ont augmenté de manière importante parmi les ménages aisés au cours des années 2000, contribuant à accroître l’écart avec la part de propriétaires parmi les plus modestes.
L’apparente stabilité de l’accession à la propriété des jeunes ménages entre 1973 et 2013 masque des disparités croissantes entre les plus aisés et les moins aisés.
En 40 ans, l’accès à la propriété s’est fortement détérioré pour les ménages de 25 à 44 ans aux revenus les plus faibles (Graphique 1). En 1973, 34 % d’entre eux étaient propriétaires. En 2013 ils sont 16 %, soit une baisse de moitié. Le taux de propriétaires au sein des jeunes ménages aisés a, quant à lui, augmenté de plus de 50 la moitié : il est passé de 43 % à 66 %.
Plusieurs facteurs ont joué sur cette dynamique. Entre 1978 et 2013, la baisse de la probabilité de devenir d’être propriétaire chez les jeunes ménages les plus modestes peut largement s’expliquer par les mutations de cette population au cours du temps.
Tout d’abord les configurations familiales ont beaucoup varié chez les jeunes ménages les plus modestes parmi lesquels la part de familles monoparentales est multipliée par 3 entre 1978 (9 %) et 2013 (29 %). À l’inverse, la proportion de couples avec enfants diminue fortement. Ils représentent 78 % des ménages modestes en 1978, contre 38 % en 2013. Les couples avec enfants ayant une propension plus élevée que la moyenne à accéder à la propriété, à l’inverse des familles monoparentales, cette évolution explique une part significative de la baisse du taux de propriétaires des plus modestes. De plus la part des jeunes ménages modestes vivant en milieu rural a considérablement baissé. Elle est divisée par 2, chutant de 31 à 15 %, au profit des villes de plus grande importance, Paris compris, accompagnant en cela les mutations du marché du travail. La forte diminution de la petite propriété rurale a aussi contribué à la baisse du taux de propriétaires des plus modestes.
Les aides de la famille ont également joué un rôle important dans cette tendance inégalitaire. La part de jeunes ménages aidés par leur famille a augmenté au cours des années 2000. 20 % des premiers propriétaires récents âgés de 25 à 44 ans sont concernés en 2002. Ils sont 27 % en 2013. Malgré le quasi-doublement des prix de l’immobilier dans les années 2000, la part du prix d’achat du logement financée par un don reste assez stable, autour de 20 %. Cette relative stabilité dans un contexte de croissance des prix peut recouvrir différents mécanismes. Certaines familles peuvent avoir adapté leur aide aux prix croissants de l’immobilier. En outre, certains ménages ont pu acheter des biens moins chers (de qualité moindre) et d’autres peuvent avoir été évincés du marché, ne bénéficiant pas d’une aide familiale suffisante.
La probabilité d’être propriétaire augmente nettement avec la réception d’une aide. Chez les plus modestes, les ménages n’ayant pas reçu d’aide ne sont que 4 % à être propriétaires, contre 28 % lorsqu’ils déclarent avoir reçu une aide. L’écart est également important pour les autres ménages : la probabilité d’être propriétaire est plus de deux fois plus forte pour les plus aisés qui reçoivent une aide. Ce sont d’ailleurs les plus aisés qui reçoivent le plus souvent des donations : près d’un quart (contre 16 % pour les plus modestes) déclarent avoir reçu une aide directe au moment de l’achat.
Au cours des années 2000, l’évolution de la fréquence des dons creuse l’écart entre les plus modestes et les plus aisés. Les ménages modestes ont un peu moins souvent bénéficié d’une aide (8 % en 2002 contre 7 % en 2013) et sont moins fréquemment devenus propriétaires, vraisemblablement parce que les aides n’ont pas été suffisantes pour faire face à l’augmentation des prix immobiliers. Sur la même période, l’évolution du rôle des donations et héritages pour les ménages les plus aisés est diamétralement opposée et paraît la plus spectaculaire. Entre 2002 et 2013, la part des jeunes ménages aisés aidés par leur famille passe de 20% à 24%, soit une augmentation de 20 %. En conséquence, leur probabilité d’accès à la propriété augmente de 9 points de pourcentage (passant de 57 % à 66 %) dont 13 % s’expliquent par les aides reçues. Pour ces ménages, une part des évolutions demeure cependant inexpliquée par les variables considérées, reflétant peut être des changements de comportement ou le rôle de facteurs macroéconomiques, dont le marché du logement.
Cette perspective historique met ainsi en évidence, chez les jeunes ménages les plus modestes, une difficulté croissante à accéder à la propriété. Elle conforte la nécessité d’une réévaluation des politiques publiques du logement et d’un meilleur ciblage vers cette population dont la situation s’est dégradée au cours des 40 dernières années.
Mis à jour le : 19/03/2019 15:26