Pierre Cahuc et Sandra Nevoux évaluent l’effet des réformes de 2012-2013 de l’activité partielle et du recours récurrent à ce dispositif sur la production agrégée en France. Les réformes conduites en 2012 et 2013, en rendant le dispositif d’activité partielle plus généreux, ont supprimé le coût restant à la charge de l’entreprise. Les faits stylisés révèlent que l’activité partielle est essentiellement utilisée par un nombre restreint d’entreprises de manière récurrente et ce recours répété a augmenté suite à ces réformes. Le modèle théorique développé met en évidence que de telles réformes de l’activité partielle ont engendré un transfert financier vers les entreprises recourant à l’activité partielle de manière répétée, conduisant à une baisse de la production agrégée par rapport à l’optimum social. Selon leur modèle, la mesure de politique économique permettant d’atteindre cet optimum social, à savoir la maximisation de la production agrégée, consiste à instaurer un système d’assurance chômage financé par des cotisations sociales proportionnelles au poids financier que les entreprises font peser sur l’assurance chômage, en lieu et place du dispositif d’activité partielle.
L’activité partielle, plus connue sous le nom de chômage partiel, est une politique de l’emploi destinée aux établissements confrontés à des difficultés conjoncturelles. Ce dispositif vise à préserver l’emploi en réduisant temporairement le nombre d’heures travaillées des salariés, tout en leur garantissant pour ces heures chômées une compensation partiellement financée par les pouvoirs publics. Au sein de nombreux pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les entreprises faisant face à des fluctuations saisonnières de leur activité peuvent utiliser le dispositif d’activité partielle de manière récurrente. Cette question a été jusqu’à présent négligée par les chercheurs, qui se sont concentrés sur l’usage de l’activité partielle par les entreprises confrontées à des chocs temporaires. Cette problématique est néanmoins importante, dans la mesure où les secteurs affectés par ces fluctuations saisonnières sont fortement incités à faire pression sur les pouvoir publics afin de bénéficier de dispositifs d’activité partielle autorisant leur usage récurrent.
À partir de données extrêmement détaillées sur les subventions d’activité partielle entre 2002 et 2014, nous montrons que l’essor de la dépense publique relative à l’activité partielle a majoritairement bénéficié aux grandes entreprises y recourant de manière récurrente pour faire face à des fluctuations saisonnières d’activité. Nous développons ensuite un modèle qui montre que ces subventions des entreprises faisant face à de fortes fluctuations saisonnières aux dépens du reste de l’économie entrainent une diminution de la production agrégée. Notre modèle montre que l’instauration d’un système de bonus-malus à l’assurance chômage, au sein duquel les entreprises financeraient l’assurance chômage via une taxe proportionnelle à leur contribution au coût de l’assurance chômage, rendrait cette politique plus efficace. Dans le cadre d’un bonus-malus à l’assurance chômage, les employeurs sont autorisés à licencier leurs salariés durant les périodes improductives mais sont tenus de payer le coût induit par l’assurance chômage. Ce système incite les employeurs à internaliser le coût de leurs externalités de licenciement en maintenant leurs salariés en emploi durant ces périodes improductives afin de limiter la hausse de leurs cotisations d’assurance chômage. A contrario, un système de bonus-malus à l’activité partielle serait peu incitatif, dans la mesure où il réduirait l’attractivité du dispositif pour les employeurs et par suite diminuerait leur taux de recours. En effet, l’activité partielle constitue un instrument de préservation de l’emploi seulement lorsque le coût à la charge des employeurs est faible. Cependant, il constitue un moyen inefficace d’assurer les salariés, dans la mesure où il engendre des subventions vers les entreprises confrontées à des fluctuations saisonnières d’activité et diminue par suite la production agrégée. En France, les pouvoirs publics ont toutefois choisi de suivre cette voie suite à la Grande Récession de 2008-2009, sous la pression des secteurs bénéficiaires des subventions d’activité partielle. À partir de notre modèle, nous estimons la perte de production associée au dispositif d’activité partielle, comparée au système de bonus-malus à l’assurance chômage, à environ 50% du montant total des subventions d’activité partielle destinées aux utilisateurs récurrents du dispositif.
Ces résultats soulignent l’importance d’une instauration minutieuse de l’activité partielle et de l’assurance chômage. Dans tous les pays au sein desquels l’activité partielle existe, les allocations horaires d’activité partielle versées aux salariés pour chaque heure chômée représentent une fraction du salaire horaire antérieur. Dans certains pays, les employeurs payent une partie de ces allocations et le reste est financé par des subventions publiques. Dans d’autres pays, ces allocations sont entièrement financées par des subventions publiques mais un système de bonus-malus à l’activité partielle impose aux employeurs de rembourser une partie de leur coût d’activité partielle via des cotisations sociales plus élevées dans le futur. Dans d’autres pays, les employeurs ne supportent aucun coût d’activité partielle. Nos résultats révèlent que les systèmes au sein desquels les employeurs contribuent peu à l’activité partielle incitent les entreprises confrontées à d’importantes fluctuations saisonnières d’activité à utiliser le dispositif de manière récurrente, diminuant ainsi la production agrégée. Il est donc important de limiter l’usage répété de l’activité partielle. Une manière efficace d’atteindre cet objectif serait d’instaurer un système de bonus-malus, où les employeurs doivent rembourser aux pouvoirs publics une partie de leur coût d’activité partielle dans le futur. Un tel système permettrait aux entreprises confrontées à des contraintes financières de court-terme de préserver leur emploi sans pour autant engendrer un transfert financier aux dépens du reste de l’économie, qui réduirait la production agrégée. L’introduction d’un bonus-malus à l’activité partielle rend ce dispositif moins attractif pour les employeurs et entraine donc une diminution du recours à l’activité partielle. Un tel système devrait donc être complété par un système obligatoire de bonus-malus à l’assurance chômage afin d’assurer les salariés.
Mis à jour le : 08/10/2018 17:20