Depuis dix ans, les pays émergents ont subi des épisodes répétés de retrait des investisseurs non-résidents (« sudden stop »). Ce fut encore le cas récemment avec les tensions du milieu de l’année 2018, lors du resserrement de la politique monétaire américaine. Ces sudden stop ont des conséquences importantes sur les conditions financières et l’activité dans les économies touchées. La détection rapide de ce type d’épisodes constitue alors une part essentielle de l’analyse du risque dans ces pays. Les auteurs présentent les données disponibles et les estimateurs avancés construits à la Banque de France pour ce faire. Ces outils à fréquence plus élevée permettent également d’analyser en détail les déterminants de ces mouvements de capitaux. À l’aide d’une application empirique, les auteurs montrent l’influence des conditions financières aux États-Unis sur les évolutions récentes des flux bruts de portefeuille vers les pays émergents.
Cet article se concentre sur les investissements nets de portefeuille des non-résidents vers les pays émergents. Il s’agit des achats moins les ventes d’actifs qu’effectuent les non-résidents et qui n’entrent pas dans la catégorie des investissements directs.
Les mesures prises aux États-Unis et leurs conséquences
La politique économique menée par les États-Unis en 2018 aura eu un impact significatif sur les marchés financiers, les flux internationaux de capitaux et l’activité économique mondiale. La politique commerciale des États-Unis, conduisant à de fortes tensions avec la Chine, a accru l’incertitude économique dans de nombreux secteurs. La réforme fiscale américaine, promulguée en décembre 2017, a entraîné des rapatriements d’environ 500 milliards de dollars de profits de multinationales américaines détenus à l’étranger. Comptablement, ces transferts ont causé une chute des investissements directs à l’étranger (IDE) des non-résidents dans les pays auparavant récipiendaires de ces fonds (Suisse, Irlande, Luxembourg notamment). Le creusement du déficit budgétaire aux États-Unis a conduit à une hausse des émissions de titres du Trésor américain (treasuries), offrant un support d’actif sûr supplémentaire. Parallèlement, la politique monétaire a opéré au cours de l’année 2018 un net resserrement conduisant à une hausse des taux aux différentes maturités. La combinaison des politiques monétaire et budgétaire a ainsi conduit à un rééquilibrage des portefeuilles internationaux au profit des obligations souveraines américaines. En raison de leurs fondamentaux économiques plus fragiles (déséquilibres externe et budgétaire persistants, inflation élevée, endettement à court terme en devise), l’Argentine et la Turquie ont été les pays les plus touchés par les sorties de capitaux qui ont affecté les économies émergentes en 2018. Dans ces deux pays, les sorties de capitaux se sont traduites par des crises économiques profondes. L’Argentine a dû solliciter un prêt auprès du Fonds monétaire international (FMI) afin de faire face à ses engagements internationaux. La Turquie, qui pour l’instant se refuse à demander une assistance internationale, est entrée en récession à partir du deuxième trimestre 2018. Les autres économies émergentes ont également été affectées : des sorties de capitaux ont été observées (cf. graphique 1), les monnaies se sont globalement dépréciées (cf. graphique 2) et les autorités sont intervenues, soit pour mettre en place ou renforcer des mesures macroprudentielles ou de contrôle des capitaux, soit en intervenant directement sur les marchés pour lisser la trop forte volatilité des flux sur leurs monnaies.
Mis à jour le : 07/11/2019 14:33