Document de travail n°667 : Les capacités stabilisantes des banques centrales : renforcer la liquidité bancaire

La liquidité du système financier joue un rôle central dans les crises systémiques. Dans cet article, nous montrons que les politiques de décote de la BCE ont apporté un soutien important aux institutions financières durant la crise de la zone euro. En utilisant les nouvelles données sur le pool de collatéral éligible aux opérations de refinancement avec l’Eurosystème, nous construisons un indicateur de mismatch des liquidités (LMI) pour le secteur bancaire français basé sur les décotes de la BCE. Nous le comparons ensuite au LMI construit avec les décotes du marché repo privé, dans l'esprit de Bai et al. (2018). La différence entre les deux indicateurs représente une nouvelle mesure de soutien en liquidités de la BCE. Nos résultats suggèrent que les politiques de décote de la BCE ont en effet aidé les banques françaises à réduire le mismatch des liquidités.

Au cours de la récente crise financière, les banques centrales ont mis en œuvre plusieurs mesures pour atténuer les tensions sur le marché monétaire et améliorer les conditions de liquidité interbancaire. Dans le présent document, nous allons au-delà de l'incidence très recherchée de la politique monétaire sur la liquidité à l'échelle du marché et nous nous concentrons sur la liquidité des bilans des banques. À l'aide de nouvelles données microéconomiques sur le pool de garanties éligibles dans le cadre des opérations d'open market de la BCE (open market operations, OMO), nous construisons un indicateur de mismatch des liquidités (liquidity mismatch index, LMI) pour le secteur bancaire français. La nouveauté de notre approche consiste à prendre en compte l'influence de la BCE sur la liquidité des banques et, en particulier, les effets des politiques de garantie et de décote de la BCE.

Notre indice LMI évalue l'asymétrie entre la liquidité du marché de l'actif et la liquidité de financement du passif. Plus précisément, du côté de l'actif, nous supposons qu'en cas de tensions sur les liquidités, la banque réagit en maximisant la liquidité qu'elle peut tirer de ses actifs en la nantissant à titre de garantie dans le cadre des opérations de l'OMO. Les décotes de la BCE définissent le montant des liquidités que la banque peut mobiliser en utilisant ses titres et ses prêts comme garantie. En ce qui concerne le passif, nous supposons que tous les créanciers de la banque extraient le maximum de liquidité autorisé en vertu des termes de leur contrat, comme dans Bai et al. (2018). L'indice LMI est la différence entre la liquidité à l'actif et la liquidité au passif. Comme les deux parties sont exprimées en euros, elle donne la "valeur d'équivalent de trésorerie" d'une banque dans l'esprit de Brunnermeier et al. (2011).

L'utilisation des décotes de la BCE est une différence importante par rapport à Bai et al. (2018) qui mesurent le décalage de liquidité du secteur bancaire américain en utilisant les décotes des marchés privés. Nous soutenons que les décotes de la BCE sont souvent inférieures à celles appliquées par le marché des pensions privées, ce qui incite les banques à utiliser leurs actifs en garantie auprès de l'OMO plutôt que sur les marchés des pensions privées.

Nous calculons l'indice LMI pour les différentes banques françaises représentant 87 % du total des actifs du système bancaire, puis nous l'agrégeons pour l'ensemble du système bancaire. Lorsque l’indice LMI global est faible, le secteur bancaire est plus vulnérable à un stress de liquidité. L'évolution de l'asymétrie de liquidité du système bancaire entre 2011 et 2015 est illustrée sur le graphique ci-dessus. Il fournit un certain nombre de résultats pertinents pour les politiques. Tout d'abord, le système bancaire français était toujours à flot avant les interventions de la banque centrale en 2011. Au second semestre 2011, l'inadéquation des liquidités pour l'ensemble du système montre une baisse drastique, ce qui suggère une aggravation rapide de la vulnérabilité systémique à la suite des épisodes de stress. Pourtant, l'indice LMI ne tombe jamais en territoire négatif, ce qui démontre la résilience du secteur, dans l'ensemble, à la détérioration des conditions de financement tant à l'actif qu'au passif. De plus, l'indice agrégé sur toutes les banques en termes absolus se situe à un niveau plus élevé à la fin de 2015 qu'avant le choc de liquidité de 2011. Plus important encore, l'indice agrégé augmente considérablement vers la fin de la période, à compter de la fin de 2014, et parvient à dépasser son niveau initial. Cela pourrait refléter l'impact de la mise en œuvre prévue de la réglementation sur les liquidités, et en particulier le taux de couverture des liquidités, dont la période d'observation devait débuter en 2015. Enfin, la résilience du système pris dans son ensemble cache l'hétérogénéité des contreparties. Certaines banques affichent un LMI plus faible tout au long de la période et une banque se démarque en tant que valeur aberrante, subissant une chute spectaculaire de son LMI en 2011. Le LMI peut donc aider à identifier les différentes institutions françaises fragiles en termes d'exposition au risque de liquidité.

Une alternative pour les banques françaises serait de donner leurs actifs en nantissement sur les marchés des pensions privées. Nous construisons donc un LMI alternatif en utilisant les décotes de la contrepartie centrale pour les obligations souveraines en fonction de leur échéance et de leur pays d'émission. Nous tenons également compte de la possibilité que les prêts bancaires et certains titres d'investissement ne puissent pas être donnés en garantie sur les marchés de pensions privées alors qu'ils peuvent être utilisés en garantie auprès des OMO de la BCE. Nous comparons ensuite le LMI public fondé sur les décotes de la BCE et le LMI fondé sur les décotes des marchés des pensions. Nous montrons que le LMI privé est systématiquement inférieure au LMI public, ce qui confirme que les politiques de la BCE en matière de garanties et de décotes ont effectivement permis d'atténuer le déséquilibre de liquidité des banques. Si les banques étaient soumises à des décotes privées plus élevées, leurs liquidités seraient réduites de la même manière qu’en cas des retraits de dépôts. Cela pourrait même mener à des ventes incendiaires d'actifs en période de stress financier. En tant que telle, la différence entre les LMI publics et privés représente une approximation de soutien en liquidités de la BCE au système bancaire français. En 2012, ce soutien approchait les 800 milliards d'euros.

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Document de travail n°667 : Les capacités stabilisantes des banques centrales : renforcer la liquidité bancaire
  • Publié le 07/03/2018
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Mis à jour le : 07/03/2018 18:17