Depuis une décennie, les banques centrales ont massivement utilisé des programmes d’achats de titres pour faire face à différentes crises. Outre leur action sur les taux d’intérêt, ces programmes ont conduit à un accroissement mécanique et temporaire de la monnaie en circulation dans l’économie. Cet article détaille la manière dont la création de monnaie centrale, c’est à dire la monnaie échangée dans un circuit fermé entre l’État, la banque centrale et les banques commerciales, se double d’une création de monnaie commerciale détenue par les entreprises et les ménages. Par la suite, le remboursement des titres détenus assure progressivement la destruction de la monnaie préalablement créée. Depuis 2022, l’Eurosystème réduit l’encours de titres qu’il détient en ne réinvestissant plus en totalité les montants arrivant à échéance.
Durant la dernière décennie, les instruments traditionnels de la politique monétaire ont été insuffisants pour faire face aux risques de dislocation des marchés provoqués par les crises successives et à une inflation jusqu’à récemment trop faible. Face à cette situation, les banques centrales ont mis en œuvre des politiques monétaires non conventionnelles, notamment des programmes d’achats de titres ou assouplissements quantitatifs (quantitative easing). Ces programmes ont été amplifiés en 2020 pour répondre aux conséquences économiques et financières de la crise de la Covid‑19, et depuis 2022, les banques centrales ont annoncé une pause puis amorcé une sortie progressive de ces programmes en pilotant la diminution ordonnée de la taille des portefeuilles de titres (quantitative tightening). Leurs encours au 31 décembre 2022 sont indiqués dans le tableau 1.
Dans le cas général, lorsqu’une banque centrale augmente la taille de son bilan en achetant des titres, elle finance ces opérations par de la création monétaire sur les comptes des banques commerciales, sous forme de monnaie de banque centrale, inscrite à son passif et dont elle a le monopole d’émission. Cette forme de monnaie circule i) sous forme de billets (monnaie fiduciaire) et ii) sous forme de dépôts (monnaie scripturale) qui ne sont détenus que par les banques commerciales, le Trésor et quelques institutions, seuls autorisés à ouvrir un compte sur les livres de la banque centrale. Les opérations d’achats sont donc sans impact sur la masse monétaire, c’est‑à‑dire la monnaie commerciale, détenue et utilisée par les agents économiques (ménages, entreprises et administrations publiques). Mais les achats par la banque centrale ne représentent qu’une des étapes associées au programme d’achats, qui lui‑même n’intervient que sur des titres déjà émis.
En pratique, en zone euro, la prise en compte de l’ensemble du cycle de vie des titres montre que l’augmentation de la monnaie de banque centrale pour financer les portefeuilles monétaires s’est doublée, pour un montant pratiquement équivalent, d’un accroissement mécanique de la monnaie commerciale auprès de l’ensemble des acteurs économiques (résidents et non‑résidents) hors banques. Les mécanismes monétaires et comptables à l’origine de ce double accroissement monétaire, amené à durer pendant toute la période de détention des titres par la banque centrale, sont détaillés ci‑après.
La création de monnaie commerciale concomitante des programmes d’achats est également mise en évidence en observant l’évolution passée des agrégats monétaires habituels (c’est‑à‑dire restreints aux seuls résidents) et de leurs contreparties (Bê Duc et al., 2022).
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Mis à jour le : 06/09/2023 10:04