Document de travail n°658 : L’(in)efficacité de l’allocation des facteurs avant, pendant et après la Grande Récession

Cette étude évalue l’efficacité de l’allocation des facteurs de production et son impact sur l’évolution de la productivité agrégée du secteur manufacturier en France entre 1990 et 2015. Cette efficacité est décomposée en trois parties : l’efficacité de l’allocation du facteur travail, celle du facteur capital, et l’effet de l’interaction entre ces deux allocations. L’efficacité de l’allocation des facteurs se détériore entre 1997 et 2007, générant un déficit de croissance de la productivité d’environ 0,8 % par an. Cette détérioration est principalement liée au facteur travail, à l’exception du début des années 2000 où prédomine l’effet lié au facteur capital. L’inefficacité de l’allocation des facteurs joue également un rôle important pendant la Grande Récession, expliquant environ 25 % du déclin de la productivité agrégée entre 2007 et 2009 et 20 % du rebond observé en 2010. L’aggravation constatée pendant la crise se distingue par la prédominance de l’effet lié à l’interaction entre les facteurs travail et capital, dont l’impact est faible le reste du temps. Cela souligne l’importance des mécanismes affectant à la fois les marchés du travail et des capitaux pendant les crises financières. Enfin, l’efficacité de l’allocation des facteurs reste stable après 2010 : la productivité agrégée qui serait obtenue en cas d’allocation optimale subit donc après la crise un ralentissement encore plus marqué que celui de la productivité observée.

Le présent document vise à évaluer le déficit de productivité globale des facteurs (PGF) qui résulte d'une allocation inefficace des facteurs de production. De manière plus générale, cette étude vise à contribuer à la littérature liant la dynamique de la productivité agrégée aux déterminants microéconomiques observés au niveau de l’entreprise avant, pendant ou après les crises économiques.

La productivité macroéconomique dépend évidemment de la productivité microéconomique, c'est-à-dire de l'efficacité avec laquelle les entreprises individuelles utilisent leurs facteurs de production (ici main-d'œuvre et capital) pour produire. Toutefois elle dépend aussi de l'allocation de ces ressources entre les entreprises: si l'on parvenait à réaffecter librement une unité d'intrants d'une entreprise à faible productivité vers une entreprise à forte productivité, la production totale augmenterait alors que les stocks totaux de facteurs de production resteraient inchangés. Cette réaffectation améliorerait donc la PGF agrégée. Par conséquent, l’évolution de la productivité macroéconomique dans le temps peut refléter soit la dynamique des productivités microéconomiques, soit une amélioration / détérioration de l'efficacité de l’allocation des facteurs. Cette étude utilise des méthodologies récentes pour distinguer ces deux effets. L’efficacité de l’allocation des facteurs est ensuite décomposée en trois parties: l'efficacité de l’allocation du travail, celle du capital, et l’effet de l'interaction entre ces deux allocations.

Le cadre théorique utilisé pour mesurer l’efficacité de la répartition des facteurs repose sur la définition de fonctions de production individuelles et d'agrégateurs de production. En maximisant la production totale, on peut obtenir l'allocation efficace des ressources et le niveau optimal de la production globale. Le ratio entre la production optimale et la production observée fournit une mesure du déficit de PGF qui peut être imputée à une répartition sous-optimale des facteurs. En supposant que les consommateurs considèrent les prix comme donnés et dépensent de manière optimale, l’allocation efficace est celle pour laquelle les revenus marginaux des facteurs sont égalisés. Le rapport entre les revenus marginaux observés et leur valeur à l’optimum peut donc être vu comme une distorsion qui éloigne l'économie de l’allocation efficace. L’inefficacité de l’allocation du facteur travail (resp. capital) est alors mesurée comme l'augmentation de PGF que l'on obtiendrait en réallouant de manière optimale la main-d'œuvre (resp. le capital) en l'absence de toute distorsion affectant la répartition du facteur capital (resp. travail). L'effet de l'interaction entre les deux allocations est ensuite mesurée par la variation de l'efficacité totale qui ne provient ni de la variation de l’efficacité liée au facteur travail ni de celle liée au facteur capital. Cet effet converge asymptotiquement vers la covariance entre les distorsions affectant le facteur travail et celles affectant le facteur capital et reflète donc le fait que l’inefficacité de l’allocation s'aggrave lorsque les entreprises qui ont trop (ou trop peu) de travail ont aussi tendance à avoir trop (ou trop peu) de capital.

Cette méthodologie est appliquée au secteur manufacturier français à l'aide de la base de données FiBEn. Cette base couvre l’ensemble des entreprises françaises dont le chiffre d'affaires est au moins égal à 750 000 euros sur une période allant de 1990 à 2015, incluant donc la Grande Récession et ses conséquences. Les résultats empiriques sont les suivants: premièrement, réallouer les facteurs de manière optimale augmenterait la PGF agrégée du secteur manufacturier de près de 30 % en moyenne. Le déficit de productivité lié à l’allocation sous-optimale du travail et celui lié au facteur capital sont très similaires, proches de 14%. L'étude montre que les entreprises qui souffrent d'un manque de main-d'œuvre sont également des entreprises qui comparées à la moyenne ont une valeur ajoutée nominale relativement élevée, un stock de capital important et une productivité élevée. Les entreprises qui manquent de facteur capital sont elles aussi plus productives que la moyenne, mais ont une valeur ajoutée nominale relativement basse, moins d’employés et un stock de capital extrêmement faible. Au cours de la décennie précédant la Grande Récession, l’efficacité de l’allocation des facteurs s’est détériorée et a généré un déficit de croissance annuelle de la PGF d'environ 0,8 point de pourcentage. Cette aggravation est principalement liée à l’inefficacité de l’allocation du travail, sauf au début des années 2000, où l’allocation sous-optimale du capital est le principal facteur. L’inefficacité atteint un pic pendant la Grande Récession et diminue au lendemain de la crise: elle représente 23 à 31% de la baisse de la PGF entre 2007 et 2009 et 17 à 26% du rebond de 2010. L’évolution de l’efficacité de l’allocation pendant la Grande Récession est principalement caractérisée par la prépondérance de l'effet d'interaction, qui est négligeable le reste du temps. Les mécanismes affectant à la fois les marchés du travail et des capitaux peuvent donc revêtir une importance particulière dans le sillage des crises financières. Enfin, l’efficacité de la répartition des facteurs reste stable après 2010: le ralentissement post-crise de la productivité agrégée peut difficilement s'expliquer par une moindre efficacité de l’allocation des ressources.

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Document de travail n°658 : L’(in)efficacité de l’allocation des facteurs avant, pendant et après la Grande Récession
  • Publié le 29/12/2017
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Mis à jour le : 29/12/2017 08:08