Document de travail n°755 : Polarisation du marché du travail, mauvaise allocation des compétences et Grande Récession

Cet article montre que la polarisation du marché du travail a un effet négatif persistant sur les opportunités d’ emploi, la mobilité de la main-d'œuvre et la qualité de l'allocation des compétences aux emplois pour les travailleurs moyennement ou peu qualifiées, en particulier en période de crise économique. J'introduis un modèle générant une correspondance endogène entre les compétences et les emplois, que j'estime pour reproduire uniquement la dynamique de l’emploi pendant la Grande Récession, un épisode majeur de polarisation dans l’économie américaine. Cela suffit pour que le modèle reproduise bien les motifs de répartition de tous les travailleurs sur l'échelle de l'emploi et la dynamique de mismatch observée dans les données. La comparaison avec la solution du planificateur central révèle qu’un quart du mismatch est efficace et atténue la polarisation et le chômage au cours du business cycle.

La polarisation de l'emploi est une caractéristique bien connue du marché du travail américain : les emplois routiniers ont disparu à long terme et la destruction d'emplois est principalement concentrée dans ceux-ci pendant les périodes de ralentissement. Pourtant, on sait peu de choses sur les effets de la polarisation des emplois sur la réallocation des compétences entre les emplois et ni sur la demande de compétences entre les emplois. En d'autres termes, nous ne savons pas grand-chose sur la façon dont les agents, hétérogènes en matière de compétences, utilisent l'échelle de l'emploi lorsque le marché se polarise, quelles opportunités d'emploi ils ont et quelles compétences les employeurs recherchent dans ce contexte. Cet article vise à combler ce vide dans la littérature.

En exploitant un modèle quantitatif reproduisant la dynamique à court et à long terme de la polarisation de l'emploi aux États-Unis à partir de 2005, ce document de travail montre que ce phénomène et le cycle économique interagissent et ont des effets hétérogènes sur les travailleurs hautement et peu qualifiés, sur leur mobilité et leur employabilité, ainsi que sur la qualité des correspondances compétences-emploi formées sur le marché du travail. En fait, le modèle donne la preuve que la disparition d'emplois routiniers pendant la Grande Récession (GR) a déclenché de grands mouvements du haut vers le bas de l'échelle des emplois. Malgré leur éducation et leur expérience, les travailleurs ont accepté des emplois moins rémunérés et moins qualifiés. Cependant, la dynamique de l'inadéquation entre les compétences et les professions est très différente d'un travailleur à l'autre. Par exemple, les travailleurs hautement qualifiés ont tendance à descendre l'échelle - la plupart du temps d'un emploi abstrait à un emploi routinier - uniquement pendant le ralentissement, mais ils gravissent à nouveau les échelons une fois que l'économie se rétablit. En d'autres termes, ils utilisent l'échelle de l'emploi de manière procyclique, et leur mobilité et la qualité de l'adéquation compétences-emploi ne sont que temporairement compromises. Ce n'est pas le cas pour les travailleurs peu qualifiés. En fait, ils descendent l'échelle – des emplois routiniers aux emplois manuels - mais ils ne la montent pas par la suite. Cela se produit parce que la récession détruit de façon permanente les emplois de routiniers, réduisant ainsi considérablement les possibilités d'emploi de ces travailleurs. Dans le même temps, leur faible niveau de compétences les empêche de passer à des postes supérieurs lors de la prochaine expansion. Par conséquent, leur mobilité professionnelle est également compromise de façon permanente. Ces déclassements génèrent des pertes de salaire au cours du cycle de vie qui sont faibles et temporaires pour les travailleurs hautement qualifiés, mais importantes et extrêmement persistantes pour les travailleurs peu qualifiés. En fait, lorsque les travailleurs hautement qualifiés  descendent dans l'échelle, ils bénéficient (relativement) de la compression salariale puisque leur perte de salaire est limitée. Inversement, plus un travailleur peu qualifié descend dans l'échelle, plus la perte de salaire sera importante. Dans l'ensemble, ces résultats mettent en lumière les inégalités en matière de mobilité de la main-d'œuvre, de possibilités d'emploi et de salaires dans le contexte de la polarisation de l'emploi.

L'article montre également comment un planificateur social gérerait de manière optimale la répartition des compétences à la fois à long terme et au cours du cycle dans le contexte de la polarisation de l'emploi. À long terme, la répartition efficace des compétences serait telle qu'aucune inadéquation entre les compétences et l'emploi ne se produit et que la polarisation s'accélère. En fait, il serait efficace pour l'économie de déplacer les travailleurs du marché routinier en baisse et à faible productivité vers d'autres marchés le plus rapidement possible. Pendant les périodes de ralentissement, l'interaction entre la polarisation et le cycle économique génère d'énormes pertes de bien-être en raison de la destruction systématique des emplois et d'un chômage plus élevé et plus persistant. Dans ce cas, le planificateur social devrait protéger plus les travailleurs routiniers et tolérer une inadéquation des compétences afin de sauvegarder ces emplois.
 

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Document de travail n°755 : Polarisation du marché du travail, mauvaise allocation des compétences et Grande Récession
  • Publié le 17/02/2020
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Mis à jour le : 25/02/2020 12:13