Prévisions économiques Projections macroéconomiques – Juin 2020

▪ Le PIB en France, après sa contraction au premier semestre 2020, commencerait à se redresser au second semestre, amélioration qui se poursuivrait en 2021 et 2022.
▪ Cette projection, finalisée le 25 mai 2020, repose sur l’hypothèse que le Covid-19 continuerait de circuler dans les mois à venir mais que la France, affectée comme l’ensemble des économies dans le monde, s’adapterait progressivement. Des scénarios alternatifs sont aussi présentés dans l’encadré 1. En matière de politique budgétaire, cette projection intègre les informations précises annoncées par le Gouvernement jusqu’au 25 mai. Elle n’intègre pas de nouvelles mesures annoncées depuis cette date, dont celles du projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui sera présenté le 10 juin. De façon générale, notre prévision est entourée d’aléas particulièrement élevés, qui peuvent jouer à la baisse comme à la hausse : évolution de l’environnement sanitaire en France et dans le monde, taux d’épargne des ménages lié à leur confiance, etc.
▪ À court terme, du fait de la faiblesse de l’activité jusqu’à la fin du confinement strict le 11 mai et d’une reprise progressive depuis, comme en attestent nos dernières enquêtes de conjoncture publiées ce même jour, nous attendons un recul du PIB extrêmement important au deuxième trimestre 2020. Il s’ensuivrait un rebond progressif sur les prochains trimestres, à mesure que l’activité économique s’adapterait au nouveau contexte. Mais en moyenne annuelle en 2020, le PIB resterait très fortement affecté, avec un recul de plus de 10 %.
▪ Après ce choc très fort, le rattrapage serait étalé dans le temps. Les taux de croissance du PIB projetés en 2021 (7 %) et en 2022 (4 %), bien qu’élevés, permettraient de retrouver le niveau d’activité de fin 2019 vers mi-2022 seulement.
▪ Après avoir été amortie par le dispositif de chômage partiel, la détérioration du marché du travail serait retardée mais importante. Le taux de chômage pourrait connaître un pic supérieur à 11,5 % mi-2021. Il diminuerait ensuite progressivement en dessous de 10 % fin 2022.
▪ L’inflation totale (IPCH) deviendrait temporairement négative fin 2020, la baisse du prix du pétrole se conjuguant aux effets de la baisse de l’activité. Elle s’établirait à seulement 0,4 % en moyenne en 2020. Puis elle se redresserait légèrement en 2021 et en 2022, tout en restant très modérée dans notre scénario central.
▪ La dette publique rapportée au PIB connaîtrait une augmentation très nette avec cette crise, autour de 120 % du PIB, significativement supérieure à la moyenne de la zone euro.

Comme l’ensemble du monde, l’économie française a subi un choc d’une ampleur inédite au premier semestre 2020

De janvier à mars 2020, l’épidémie de Covid-19 s’est propagée à l’ensemble du monde avec une rapidité inattendue. L’absence de vaccin et les tensions croissantes sur les systèmes de santé ont alors conduit de nombreux pays à prendre des mesures drastiques pour ralentir la circulation du virus. Ces mesures ont ébranlé l’activité économique mondiale qui s’est fortement réduite au premier semestre 2020. En zone euro, où la plupart des pays ont mis en place des mesures de confinement, le PIB a reculé de 3,8 % au premier trimestre et devrait reculer encore de 13 % au deuxième trimestre selon les dernières projections de l’Eurosystème.

En France, un confinement strict a été mis en place à partir de mi-mars. Dans nos points de conjoncture publiés début avril et début mai, nous avons estimé la réduction instantanée de l’activité à environ 32 % pendant la quinzaine de confinement de mars puis à environ 27 % en avril. Selon la deuxième estimation des comptes trimestriels par l’Insee publiée fin mai, le PIB a reculé de 5,3 % au premier trimestre 2020.

La baisse du PIB va mécaniquement s’amplifier au deuxième trimestre. Celui-ci cumule en effet six semaines de confinement jusqu’au 11 mai puis une sortie de confinement très progressive. La perte d’activité se creuse par rapport à celle enregistrée en moyenne au cours du premier trimestre avec seulement deux semaines de confinement (cf. graphique 1). Dans notre projection, le PIB reculerait ainsi d’un peu plus de 15 % au deuxième trimestre 2020 par rapport au premier trimestre.

Cette trajectoire pour le deuxième trimestre a été finalisée le 25 mai. L’information conjoncturelle disponible depuis, en particulier les enquêtes Banque de France publiées ce jour, la confirmerait avec une perte d’activité à - 17 % fin mai et revenant autour de - 12 % fin juin. Par ailleurs, cette projection est construite sur la base des comptes trimestriels publiés par l’Insee fin avril et ne prend pas en compte les résultats détaillés du premier trimestre (ainsi que les comptes annuels pour 2019) publiés le 29 mai qui ont révisé à la hausse la croissance du PIB de - 5,8 % à - 5,3 %. Étant donné l’ampleur du recul prévu au premier semestre, cette révision n’affecterait que marginalement notre projection.

Sous l’hypothèse que les perturbations seraient moindres mais subsisteraient sur le second semestre, le recul du PIB sur l’ensemble de l’année 2020 serait de plus de 10 %

Pour le deuxième trimestre, notre estimation de la perte d’activité peut encore s’appuyer sur l’information disponible notamment dans les enquêtes de conjoncture. Au-delà de cet horizon, il est nécessaire de faire des hypothèses. S’agissant de l’environnement international et financier (cf. tableau A en annexe), notre projection s’appuie sur celles de l’Eurosystème arrêtées le 18 mai et publiées le 4 juin pour l’ensemble de la zone euro. Après des chocs sanitaires et économiques d’ampleur et de calendrier différents début 2020 dans les pays de la zone euro, les contraintes économiques liées à la circulation du virus deviendraient plus comparables (cf. graphique 1).

Sur le plan des évolutions sanitaires et économiques, nous retenons essentiellement deux hypothèses.

D’une part, le virus continuerait de circuler et ainsi d’entraver le rebond de l’activité économique. Nous n’incluons cependant pas de nouvelle aggravation qui rendrait nécessaire le retour à un confinement strict.

D’autre part, nous supposons que l’amélioration de la situation sanitaire et l’adaptation des entreprises aux nouvelles circonstances permettraient de réduire progressivement les pertes d’activité par rapport à la normale, alors même que le virus continuerait de circuler. L’exemple de certains pays où le choc économique initial a été plus limité donne un point de référence. Nous retenons ainsi des pertes d’activité, en écart par rapport à un scénario sans crise, de l’ordre de 10 points au troisième trimestre et proches de 7 points au quatrième trimestre 2020. Dans ces conditions de redressement progressif, le PIB reculerait d’environ 10 % en 2020.

À titre illustratif, nous présentons dans l’encadré 1, comme l’a fait la Banque centrale européenne le 4 juin, un scénario « sévère » dans lequel les perturbations resteraient plus fortes, mais aussi un scénario « favorable » dans lequel une atténuation plus importante de la circulation du virus d’ici fin 2020 permettrait de retrouver un niveau normal d’activité à cet horizon.

À la suite d’un redressement graduel de l’activité, le PIB en volume retrouverait en 2022 son niveau de fin 2019 dans notre scénario central

Les projections pour 2021 et 2022 sont entourées d’encore plus d’incertitudes que celles pour le second semestre 2020. Elles reposent sur l’hypothèse d’une sortie graduelle de crise. Nous projetons une croissance du PIB d’environ 7 % en 2021 et de 4 % en 2022 (cf. graphique 1). Ce fort rebond apparent ne permettrait pas de retrouver le niveau d’activité de fin 2019 avant mi-2022. 2021 et 2022 seraient donc des années de redressement net mais progressif. La croissance diminuerait ensuite pour rejoindre, au-delà de l’horizon de cette prévision, son rythme potentiel.

En 2021, la très forte progression de l’activité en moyenne annuelle résulte du rebond attendu au second semestre 2020, après le choc du premier semestre. L’acquis de croissance pour 2021 atteindrait ainsi déjà presque 5 % à fin 2020. Le redressement se poursuivrait en début d’année 2021 sous l’hypothèse que l’économie continuerait de s’adapter aux contraintes sanitaires.

La progression de l’activité se renforcerait à partir du second semestre 2021. En cohérence avec les projections de l’Eurosystème pour la zone euro, nous faisons en effet l’hypothèse qu’à mi-2021, des avancées médicales permettraient de lever les mesures sanitaires. Cela permettrait d’amplifier la confiance des ménages et des entreprises, et le rebond de l’activité amorcé fin 2021 se prolongerait en 2022, soutenu par un recul du taux d’épargne des ménages, ce qui renforcerait encore la croissance annuelle en 2022.

La perte d’activité resterait toutefois substantielle fin 2022, de l’ordre de 3 points dans notre scénario central en écart à une projection d’avant-crise. Cette perte traduirait en partie un déficit de demande mais aussi une réduction du potentiel d’activité sous l’effet de la crise. D’une part, la chute de l’investissement limiterait l’accumulation du capital. D’autre part, nous supposons que le choc sur le marché du travail et les défaillances d’entreprises affecteront la productivité globale de l’économie (cf. infra). La perte d’activité se décomposerait ainsi à parts approximativement égales entre une perte de PIB potentiel et un creusement de l’« output gap », l’écart de production conjoncturel. Au-delà de cette perte en niveau, la croissance potentielle ne serait en revanche pas affectée.

L’arbitrage épargne-consommation sera essentiel pour le rythme de la reprise économique d’ici 2022

Les mesures de confinement du début 2020 imposent des contraintes très fortes sur la consommation des ménages. Conjugué à la résistance relative des revenus (cf. infra), leur taux d’épargne devrait donc très fortement augmenter. Il pourrait ainsi être proche de 20 % au premier trimestre et atteindre un pic de l’ordre de 30 % au deuxième trimestre, contre environ 15 % en moyenne sur l’année 2019.

Depuis la fin du confinement, la levée des restrictions est progressive et la consommation des ménages reste en partie entravée. Il est également probable que la montée attendue du chômage et le contexte global de forte incertitude continuent de peser sur les comportements d’achats. Dans ces conditions le taux d’épargne, tout en baissant nettement à partir du second semestre 2020, resterait tout de même à un niveau inhabituellement élevé. Il s’établirait ainsi à 22,3 % en 2020, en cohérence avec une chute de la consommation de 9,3 % sur l’année. L’épargne des ménages sur l’ensemble de l’année 2020 serait ainsi supérieure de 100 milliards d’euros à nos projections d’avant-crise. Cette hausse de l’épargne, largement « forcée », serait l’une des contreparties comptables d’un déficit public en forte hausse (cf. infra).

Nous retenons ici l’hypothèse que seule l’apparition d’une solution médicale pérenne à mi-2021 redonnerait suffisamment de confiance aux ménages pour réduire plus nettement leur taux d’épargne. Le taux d’épargne s’établirait ainsi un peu au-dessus de 16,5 % en 2021, un niveau proche de ce qui a été observé en 2009. En 2022, il descendrait en dessous de 15 % en moyenne, un niveau légèrement inférieur à ce qui serait attendu cette année-là au regard du contexte macroéconomique.

Cette dynamique de l’épargne permettrait à la consommation de progresser plus rapidement que le PIB, de 8,4 % en 2021 et de 4,3 % en 2022. L’utilisation de l’épargne forcée de 2020 resterait très limitée, en raison des comportements d’épargne de précaution que l’on peut attendre d’un environnement économique dégradé et incertain, des revenus plus faibles qu’avant-crise et de la montée du chômage. Si elle était au contraire plus rapide, par exemple à partir du second semestre 2020, c’est surtout la croissance du PIB en moyenne annuelle sur 2021 qui s’en trouverait augmentée (cf. encadré 2).

 

Face au choc d’activité, l’emploi serait réduit

Avec le choc économique du début d’année 2020, les entreprises doivent faire face à une dégradation brutale de leur activité et de leurs comptes. Leur taux de marge et leur taux d’épargne subiraient en 2020 le plus fort recul enregistré depuis plus de quarante ans. Cette situation devrait provoquer une réduction importante de l’emploi.

Depuis mi-mars, les entreprises ont largement fait appel au dispositif d’activité partielle, ce qui a permis de réduire très significativement leurs charges. Malgré cela, l’ajustement du marché du travail est déjà amorcé : selon les premières estimations publiées par l’Insee, l’emploi salarié marchand a reculé de 2,3 % fin mars par rapport à fin décembre 2019 soit une réduction de 453 800 postes, dont plus de 290 000 dans l’intérim. Au quatrième trimestre 2020, le niveau de l’emploi serait inférieur de presque 1 million au niveau atteint fin 2019 (cf. tableau).

Ces chiffres très importants témoignent malgré tout d’une certaine résistance du niveau de l’emploi, puisqu’il ne s’alignerait pas sur le profil très marqué de creux et de rebond de l’activité (cf. graphique 3). Cette résistance résulterait en premier lieu de l’impact du dispositif d’activité partielle. Nous supposons que le nombre de postes effectivement indemnisés pour chômage partiel connaîtrait un pic autour de 7 millions en mai puis décroîtrait graduellement d’ici la fin de l’année. Mais elle traduirait aussi le décalage habituel dans l’ajustement de l’emploi à l’activité. Dans ces conditions, le taux de marge des entreprises se réduirait en 2020 et celles-ci assumeraient ainsi une proportion de la perte de revenu de la Nation en 2020 supérieure à leur part habituelle (cf. encadré 3).

L’emploi se stabiliserait au cours de l’année 2021, en décalage avec le rebond de l’activité, et c’est seulement en 2022 qu’il progresserait de nouveau (cf. tableau). L’ajustement de l’emploi et le rebond de l’activité conduiraient alors au redressement du taux de marge des entreprises et à la réduction de leur part dans les pertes de revenus globales de la Nation (cf. encadré 3). Dans notre projection, l’ajustement de l’emploi à l’horizon 2022 serait un peu inférieur à celui du PIB (cf. graphique 3). Nous faisons en effet l’hypothèse de pertes durables de productivité sous l’effet de la forte contraction de l’activité, à l’instar de ce qui s’est passé pendant la crise de 2007-2008. Il existe des incertitudes fortes autour de cette hypothèse, aussi bien à la hausse (possible sélection des entreprises les plus efficaces, accélération de la diffusion du numérique, etc.) qu’à la baisse (possible sous-investissement, plus grande fermeture des économies, maintien en activité d’entreprises non viables, etc.).

Avec retard, le taux de chômage atteindrait un pic au-dessus de 11,5 % mi-2021, avant de décroître nettement à nouveau

Les conséquences de la dégradation de l’emploi seraient mécaniques sur le taux de chômage. L’Insee a publié mi-mai un taux de chômage à 7,8 % au premier trimestre 2020, en baisse de 0,3 point par rapport à fin 2019. Mais comme indiqué par l’Insee, cette baisse du chômage au sens du BIT est « en trompe-l’œil ». Les semaines de confinement posent en effet des difficultés importantes de mesure du chômage avec les mesures et classifications statistiques habituelles. Le taux de chômage devrait ainsi rapidement augmenter dans les trimestres à venir pour atteindre un pic temporaire supérieur à 11,5 % mi-2021 (cf. graphique 4), au-dessus des précédents historiques. Il redescendrait ensuite à 9,7 % fin 2022.

Soulignons que notre projection du taux de chômage suppose des comportements inchangés au sein de la population en âge de travailler, alors qu’ils pourraient en réalité être affectés par la crise, ce qui constitue un aléa important. D’un côté, certaines personnes peuvent être découragées de chercher un emploi ou peuvent renoncer à entrer dans la vie active en prolongeant leurs études par exemple. De l’autre, les pertes de revenus des ménages peuvent inciter à la recherche d’emploi, par exemple pour le conjoint dans les couples comptant initialement un seul actif.

Les pertes de revenus moyennes des ménages sont limitées en 2020 au regard du choc, mais la progression du revenu disponible brut des ménages serait aussi contrainte ensuite

Le pouvoir d’achat du revenu des ménages se réduirait de 0,5 % en 2020 (– 0,7 % par habitant). Ces chiffres en moyenne recouvrent bien sûr des situations très différentes selon les catégories de ménages, d’autant que l’ajustement du marché du travail devrait se faire initialement de façon plus prononcée sur les formes les plus précaires de contrats.

Ce recul du pouvoir d’achat du revenu des ménages en 2020 est limité, et très inférieur à la baisse du PIB sur l’année (cf. graphique 5). D’une part, les transferts publics (cf. infra), par le jeu des stabilisateurs automatiques et des mesures mises en place par le Gouvernement, limitent les pertes de revenu des ménages (cf. graphique 6). D’autre part, la relative résistance de l’emploi au regard du choc d’activité, décrite précédemment, amortit le choc de revenu pour les ménages en 2020 (cf. encadré 3).

La relative protection du revenu des ménages face à la crise s’amortirait toutefois avec le temps, à mesure que le marché du travail s’ajusterait. La progression du pouvoir d’achat serait ainsi de 0,9 % en 2021 puis de 2,1 % en 2022, des chiffres significatifs, et même forts en 2022, mais inférieurs au rebond de l’activité sur ces années.

Les cycles des exportations et de l’investissement seraient, comme souvent, plus prononcés que celui du PIB

Si la consommation des ménages baisserait dans une proportion assez similaire à celle du PIB en 2020, les chutes des exportations (– 14 %) et de l’investissement total (– 21 %) seraient en revanche nettement plus fortes.

Les exportations suivraient le profil de la demande adressée à la France. Ce profil serait très similaire à celui de nos propres importations. En effet, la plupart des grandes économies sont touchées de manière simultanée par l’épidémie. C’est notamment le cas de nos partenaires commerciaux de la zone euro, dont l’activité suivrait une trajectoire qualitativement proche de celle de la France, avec une forte chute au premier semestre 2020, suivie d’un rebond au second semestre, puis d’un rattrapage lent et seulement partiel en 2021 et 2022. Selon les dernières projections de l’Eurosystème, le PIB de la zone euro baisserait ainsi fortement de 8,7 % en 2020, puis rebondirait de 5,2 % en 2021 et 3,3 % en 2022. Dans ces conditions, la contribution du commerce extérieur net à la croissance du PIB français serait stable et presque nulle chaque année.

L’ajustement de l’investissement des entreprises serait, en revanche, beaucoup plus rapide. Après une chute brutale au premier semestre 2020 (cf. graphique 7), accentuée par le quasi-arrêt de l’activité dans la construction sur les premières semaines de confinement, il se redresserait, très rapidement au redémarrage de l’activité au second semestre 2020 puis plus progressivement ensuite. Sur l’ensemble de l’année 2020, son recul (– 23 %) dépasserait celui du PIB, comme habituellement dans les cycles économiques. À plus long terme, et dans un climat économique incertain, le taux d’investissement certes élevé fin 2022, s’établirait encore en dessous de son pic de fin 2019. Outre la chute de l’investissement des entreprises, l’investissement des ménages et dans une moindre mesure celui des administrations publiques, seraient également très fortement affectés par l’arrêt des chantiers de construction. L’affaiblissement global de l’activité entraînerait également un mouvement de déstockage de la part des entreprises, qui apparaîtrait pour l’essentiel sur la moyenne annuelle de 2021 (contribution de – 0,6 point à la croissance du PIB).

L’inflation serait faible sur tout l’horizon de la prévision

La mesure de l’inflation est fragile pendant les semaines de confinement dès lors que certaines transactions n’ont tout simplement pas lieu. La crise sanitaire et économique pourrait, en outre, provoquer des tensions temporaires sur les prix d’un certain nombre de produits et services. C’est par exemple le cas de l’inflation IPCH des produits alimentaires non transformés qui s’établit en avril à 12,2 %. De même, la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures sanitaires va provoquer une hausse des coûts dans un certain nombre d’activités, qui pourrait être transmise au consommateur final.

Pour autant, les forces macroéconomiques qui déterminent l’inflation sont clairement orientées à la baisse et devraient dominer en matière d’évolution du niveau général des prix. D’une part, la très forte baisse récente du prix du pétrole devrait provoquer un recul sur un an du prix de l’énergie, de près de 9 % au deuxième trimestre 2020. Cette baisse du prix des intrants devrait se diffuser progressivement vers les composantes hors énergie de l’inflation. D’autre part, la dégradation de l’activité devrait, comme usuellement, peser sur la progression des prix, de façon très nette dans les circonstances actuelles.

L’inflation IPCH hors énergie et alimentation a déjà fortement baissé début 2020 (cf. graphique 8), avec des chocs importants notamment s’agissant des prix des transports, de l’hébergement-restauration et des communications en avril. Elle resterait faible sur l’ensemble de l’horizon. Avec la faible inflation globale dans le monde, les prix des produits importés progresseraient peu. Au plan intérieur, il est attendu que la dégradation du marché du travail pèse sur l’inflation, notamment dans les services, et face à l’ampleur du choc de demande, que les entreprises compriment quelque peu leurs marges, au moins à court terme.

Avec la forte baisse de l’énergie, et malgré la hausse importante des prix de l’alimentation, l’inflation totale IPCH pourrait devenir temporairement négative en fin d’année 2020 (cf. graphique 8) et elle progresserait en moyenne sur l’année de seulement 0,4 % (après 1,3 % en 2019). L’inflation totale se redresserait quelque peu début 2021 du fait de la sortie de glissement de la forte baisse des prix de l’énergie. Elle resterait toutefois globalement faible dans notre scénario central, en s’orientant vers un rythme de 0,9 % en fin d’année 2022.

Si la dynamique macroéconomique apparaît donc globalement désinflationniste, on ne peut exclure qu’une partie des coûts liés à la crise sanitaire soit transmise au consommateur final dans des proportions plus importantes que ce que nous retenons ici, avec un effet transitoire à la hausse sur l’inflation. Ceci sera sans doute dépendant de l’environnement macroéconomique général : la capacité des entreprises à augmenter leurs prix en parallèle des coûts supplémentaires occasionnés par la crise sanitaire serait plus forte dans un environnement macroéconomique favorable et, au contraire, très limitée si la conjoncture était fortement et durablement dégradée (cf. encadré 1).

La dette publique augmenterait nettement, à un niveau proche de 120 % sur la période 2020-2022

L’épidémie de Covid-19 a conduit le gouvernement à recourir au levier budgétaire pour amortir l’impact économique de la crise sanitaire et favoriser les capacités de rebond. Ces mesures de soutien exceptionnelles [les projections présentées ici ont pu intégrer les informations contenues dans la loi de finances initiale pour 2020, les lois de finances rectificatives de mars et avril, le programme de stabilité 2020 ainsi que les mesures annoncées par le Gouvernement jusqu’au 25 mai suffisamment spécifiées (plan pour le secteur du tourisme) ; elles n’intègrent toutefois pas de mesures supplémentaires depuis cette date (plan pour l’automobile, etc.) ainsi que de possibles futures mesures, dont celles du projet de loi de finances rectificative qui sera présenté le 10 juin], couplées au fort ralentissement de l’activité en 2020, conduiraient à une dégradation marquée du déficit public en 2020 qui s’établirait, dans notre projection, à 10 % du PIB, après 3,0 % en 2019 (2,1 % hors double compte du CICE − Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi − et de la baisse de cotisations). Ce creusement du déficit s’explique pour environ 1/3 par les mesures de soutien exceptionnelles et pour 2/3 par la contraction de l’activité économique. En 2021-2022, la fin des mesures exceptionnelles et la reprise de l’activité permettraient au déficit public de se réduire nettement, à législation inchangée, à 6 % du PIB en 2021 puis 5 % du PIB en 2022. Le déficit resterait néanmoins supérieur au déficit prévu avant la crise sanitaire. En raison du creusement du déficit couplé à la diminution du PIB, la dette publique augmenterait fortement à 119 % du PIB en 2020, après 98,1 % en 2019, et ne reculerait pratiquement pas en fin d’horizon de projection. La moyenne dans la zone euro augmenterait parallèlement (à 101 % du PIB fin 2020 et 100 % du PIB fin 2022), mais dans de moindres proportions.

Dans notre projection, les dépenses publiques (hors crédits d’impôts) augmenteraient fortement de 4,3 % en valeur en 2020, en raison des mesures de soutien adoptées par le gouvernement (principalement le dispositif d’activité partielle, les dépenses exceptionnelles de santé et le Fonds de solidarité). En parallèle, les prélèvements obligatoires (PO) diminueraient de 8,9 % en 2020, du fait de la forte contraction de l’activité et, dans une faible mesure, d’une réduction des PO prévue par la loi de finances initiale pour 2020. En 2021-2022, la reprise de l’activité devrait permettre une normalisation et le ratio des prélèvements obligatoires sur PIB serait, en 2022, proche (légèrement inférieur) à ce qui était prévu avant la crise. Les dépenses exceptionnelles prenant fin, le ratio de dépenses publiques (hors crédits d’impôts) sur PIB est, lui, projeté à 55,7 % du PIB en 2022; ce ratio resterait cependant supérieur d’environ 2 points de PIB à ce qui était prévu avant la crise.

Des scénarios alternatifs permettent d’éclairer les dynamiques principales en jeu pour les prochaines années

Des scénarios alternatifs « favorable » et « sévère » : la croissance du PIB pourrait varier entre - 7 % et - 16 % en 2020

L’incertitude autour de notre projection centrale dépasse très largement l’incertitude qui entoure les prévisions en temps normal. Pour l’illustrer, nous présentons dans cet encadré deux scénarios alternatifs, « favorable » et « sévère » (cf. graphique). Ces scénarios ont été établis dans le cadre de la préparation des projections communes de l’Eurosystème en juin 2020 et reposent ainsi sur une approche coordonnée avec les scénarios analogues publiés par la Banque centrale européenne pour la zone euro et par certaines banques centrales nationales pour leur économie intérieure.

Dans le scénario favorable, on suppose que la circulation du virus se réduit suffisamment pour permettre un rebond plus significatif de l’ensemble des économies. Ce succès sanitaire pourrait résulter de l’efficacité des mesures de confinement initiales ou d’avancées médicales rapides pour la détection, voire le traitement du Covid-19, et serait bien intégré dans le comportement de tous les agents économiques. L’activité en France resterait affectée pendant l’été 2020 par certaines mesures de restriction mais celles-ci pourraient être assez rapidement assouplies de sorte que l’économie reviendrait sur sa trajectoire d’avant-crise au début de l’année 2021. La chute du PIB resterait forte en 2020 mais, surtout, le rebond serait très important en 2021 (cf. tableau). Et, en 2022, le rythme de croissance du PIB serait proche du potentiel ce qui traduirait un retour à la normale. L’inflation serait certes faible en 2020 dans le scénario favorable mais elle rebondirait en revanche plus nettement en 2021 et en 2022, vers 2 %.

Dans le scénario sévère, on suppose au contraire que la circulation du virus en France et dans le monde se poursuit avec une intensité plus importante. Au plan national, après la fin du confinement strict le 11 mai, il pourrait alors être nécessaire de maintenir des mesures sanitaires fortes pour empêcher une nouvelle et significative augmentation de la mortalité liée au Covid-19. La perte de PIB sur l’année 2020 serait en conséquence de près de 16 % et le rebond en 2021 serait faible par rapport au choc de 2020 : les ménages et les entreprises s’adapteraient peu à peu à ces circonstances difficiles mais mi-2021 l’activité resterait encore inférieure de 13 % à sa trajectoire d’avant-crise. Comme il paraît difficile de prévoir la date de la survenance potentielle d’une « deuxième vague », ce scénario ne présente pas de « W » mais s’efforce de couvrir cette possibilité « en moyenne ».

Dans ce scénario, c’est ensuite seulement mi-2021 que les avancées médicales permettraient d’obtenir un rebond plus marqué de l’activité. Mais ce rebond resterait limité par les conséquences économiques alors plus durables des événements précédents. Les perturbations durables des chaînes de valeur et la forte augmentation des défaillances d’entreprises pourraient en effet provoquer des tensions dans le système économique et financier mondial. Le potentiel d’activité serait durablement et fortement réduit. Les montants dépensés pour les mesures exceptionnelles augmenteraient par rapport aux autres scénarios et la dette publique en serait très défavorablement affectée. Mais il faut noter que ce scénario n’inclut cependant pas les réactions additionnelles des politiques économiques qui pourraient être mises en œuvre dans une telle situation et en atténuer partiellement la sévérité. Face à la dégradation de l’activité, l’inflation pourrait être nettement négative en 2021 et encore globalement nulle en 2022.

Un enjeu important pour l’ampleur du rebond de l’activité, surtout pour 2021 : la baisse du taux d’épargne des ménages

Après la forte hausse de l’épargne des ménages au premier semestre 2020, nous faisons l’hypothèse d’une baisse ensuite assez progressive de leur taux d’épargne, jusqu’à l’apparition d’une solution médicale mi-2021. Le taux d’épargne ne reviendrait alors à son niveau d’avant-crise que début 2022, et le surcroît d’épargne de 2020 ne serait que très peu consommé. Il est toutefois envisageable que le surcroît d’épargne accumulé soit consommé plus rapidement par les ménages et que le taux d’épargne reste inférieur au niveau d’avant-crise pour une période plus précoce et plus prolongée (cf. graphique). Nous décrivons donc ici deux variantes.

Dans la première variante, on suppose que les restrictions sanitaires ont rapidement moins d’effets contraignants sur la consommation des ménages et que celle-ci connaît un rebond marqué dès fin 2020. Le taux d’épargne passerait alors très rapidement sous son niveau de moyen terme et le rebond de la consommation des ménages serait suffisamment fort pour que celle-ci dépasse son niveau du quatrième trimestre de 2019 dès fin 2020. Dans ces conditions, la croissance du PIB pourrait être relevée de 1 point en 2020 et de 1,5 point en 2021. Cette première variante décrit une des conditions de la réalisation du scénario favorable précédent.

Dans une deuxième variante, intermédiaire, nous supposons, comme dans la projection centrale, que ce n’est qu’avec l’arrivée du vaccin dans le cours de l’année 2021 que la confiance des ménages est suffisante pour que leur taux d’épargne baisse franchement. On suppose en revanche que, dès lors, la baisse est plus forte que celle retenue dans notre projection centrale. Dans ces conditions, la croissance du PIB en 2020 serait inchangée, mais le redressement en 2021 serait plus fort, de presque 2 points, la croissance y atteindrait près de 9 %.

Quelques éléments sur le partage des pertes de revenu dans la crise

La crise économique et la chute du PIB qui en résulte représente une perte de revenu pour la Nation. L’examen du partage de cette perte de revenu entre les agents économiques, entreprises (sociétés non financières – SNF, et sociétés financières – SF), ménages (y compris entrepreneurs individuels) et administrations publiques (APU), illustre un certain nombre de mécanismes macroéconomiques à l’œuvre.

Le revenu considéré ici est le revenu disponible brut (RDB). Dans les comptes nationaux, ce revenu est le solde des ressources (ou recettes) et emplois (ou dépenses) qui sert à financer la consommation finale des agents (pour les ménages et les APU) et leur investissement (pour tous les agents). Pour l’ensemble de la Nation, le revenu disponible est quasi égal au PIB. En 2019, c’est-à-dire dans un contexte « normal », les ménages disposaient de 61 % du revenu total, les APU de 24 %, les entreprises (SNF-SF) de 13 % et les institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLSM), que nous négligeons ici, de 2 %.

Le graphique présente la part prise par les différents agents dans la perte de revenu subie par l’économie française en 2020, puis en cumul sur 2020-2022, dans notre projection.

En 2020, les administrations publiques assument plus de 60 % de la perte de revenu de la Nation, une part très supérieure à leur poids habituel. Cela reflète les transferts massifs mis en œuvre à destination des agents privés pour amortir leurs pertes et la dégradation très importante du déficit public. De fait, la part des ménages dans la perte de revenu de la Nation en 2020 atteint seulement 15 %, soit un niveau très inférieur à leur poids habituel dans ce revenu de 61 %. En outre, plus de 40 % de cette perte de revenu des ménages en 2020 serait dus à l’excédent brut d’exploitation des entrepreneurs individuels. Les entreprises assument une part de presque 24 %, supérieure à leur poids habituel dans le revenu national (13 %). Malgré l’ampleur des transferts publics, notamment le dispositif de chômage partiel et le Fonds de solidarité, cela ne compense pas la perte globale d’activité et aussi l’inertie de l’ajustement de l’emploi.

Au fil du temps, ce partage « asymétrique » des pertes de revenu cumulées s’amortit un peu. La part des administrations publiques se réduit légèrement avec la fin des mesures de soutien exceptionnelles mais elle demeure très supérieure à leur poids habituel, en cohérence avec une dégradation durable du déficit public. La part des ménages augmente progressivement, en lien avec la dégradation de l’emploi. Elle s’élève ainsi à 25 % du cumul 2020-2022. Ce chiffre reste toutefois bien en deçà du poids des ménages dans le revenu national en raison des effets des stabilisateurs budgétaires automatiques. En miroir, l’ajustement de l’emploi et le rebond de l’activité contribuent à une réduction de la part des entreprises.

Résumé vidéo par Guy Levy-Rueff

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Prévisions économiques Projections macroéconomiques – Juin 2020
  • Publié le 09/06/2020
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Mis à jour le : 21/09/2020 17:44