Cet article propose une analyse des conflits d’objectifs pouvant survenir entre les politiques macroprudentielle et monétaire, fondée sur un modèle DGSE avec frictions financières. Nous trouvons que ces conflits sont assez fréquents, surtout en cas de chocs d’offre et de chocs sur le capital des banques. La politique monétaire et les exigences en fonds propres contracycliques en particulier génèrent des conflits dans de nombreuses circonstances. Alors que ces deux politiques ont un fort impact sur l’économie, leurs cibles respectives évoluent souvent en sens opposé. La politique monétaire pourrait toutefois réduire ses effets de débordement négatifs sur la sphère financière en répondant fortement à l’output gap. Enfin, les instruments plus ciblés que sont les limites contracycliques sur les ratios de prêt/valeur génèrent moins de conflits. Ils peuvent donc être plus facilement mis en œuvre, alors qu'une coordination étroite entre les coussins de fonds propres contracycliques et la politique monétaire s’avère nécessaire.
La politique macroprudentielle est devenue un outil de politique économique à part entière depuis quelques années, comme en atteste par exemple l'assouplissement des exigences financières décidée dans de nombreux pays en réponse aux effets économiques du COVID-19. Cet avènement s'appuie à la fois sur des fondements théoriques solides et des preuves empiriques d’efficacité.
Néanmoins, la mise en œuvre de ces nouveaux instruments soulève la question des conflits d’objectifs pouvant survenir entre les politiques macroprudentielle et monétaire. En effet, comme l’indique le graphique 1 ci-dessous, les mesures macroprudentielles peuvent avoir des effets secondaires négatifs en termes de stabilisation de l'inflation et de l’output gap, qui constitue le principal objectif de la politique monétaire. De même, la politique monétaire peut empêcher la politique macroprudentielle d'atteindre ses objectifs de stabilité financière. Or, la littérature sur ces conflits est encore peu développée.
Cette recherche vise donc à fournir une analyse complète des conditions dans lesquelles de tels conflits d’objectifs peuvent survenir. L’identification des conflits est faite conditionnellement à :
(i) Différents types de chocs (réels vs financiers, demande vs offre, sectoriels vs globaux) ;
(ii) Différents instruments de politique (taux d'intérêt, limites contracycliques du ratio prêt/valeur, exigences en fonds propres) ;
(iii) Différents objectifs (volatilité de l'écart de production, de l'inflation et de l’excès de crédit).
Cette analyse théorique s'appuie sur un modèle DSGE intégrant un secteur bancaire avec frictions financières. Trois règles macroprudentielles sont introduites dans ce modèle. La première concerne l’évolution du volant de capital réglementaire contracyclique (CCyB). Les deux autres règles définissent des plafonds de ratio prêt/valeur (LTV) pour les ménages et les entreprises. Conformément aux recommandations en vigueur, nous supposons que ces trois instruments macroprudentiels réagissent à l'excès de crédit (ou « credit gap »). Enfin, nous modélisons la politique monétaire comme une règle de taux d'intérêt standard.
Pour identifier les conflits entre les politiques monétaires et macroprudentielles, nous adoptons une approche descriptive s'appuyant sur les variances des variables qui entrent habituellement dans les fonctions de perte des décideurs politiques : inflation, production et excès de crédit. Nous examinons la sensibilité de ces variances aux paramètres de réaction des règles de politique macroprudentielle et monétaire. Concrètement, un conflit est identifié lorsque les règles macroprudentielles (monétaire) conduisent à une plus forte volatilité de l'inflation et de l’output gap (resp., du credit gap), dans différents contextes décrits par quatre types de choc représentatifs.
Nous trouvons que les conflits d’objectifs sont assez fréquents, surtout en cas de chocs d’offre et de chocs sur le capital des banques. Du côté des instruments, nous trouvons que la politique monétaire et les exigences en fonds propres contracycliques génèrent des conflits dans de nombreuses circonstances. Alors que ces deux politiques ont un fort impact sur l’économie, leurs cibles respectives évoluent souvent en sens opposé. La politique monétaire pourrait toutefois réduire ses effets de débordement négatifs sur la sphère financière en répondant fortement à l’output gap. Enfin, les instruments plus ciblés que sont les limites contracycliques sur les ratios de prêt/valeur génèrent moins de conflits. Ils peuvent donc être plus facilement mis en œuvre, alors qu'une coordination plus étroite entre les coussins de fonds propres contracycliques et la politique monétaire s’avère nécessaire.
Mis à jour le : 07/04/2022 15:31