L’organisation du travail dans les entreprises est de plus en plus « fragmentée » en raison d’un recours accru à l’externalisation pour les activités qui ne sont pas « coeur de métier ». L’externalisation consiste à se séparer d’une activité réalisée jusque là en interne et à faire appel à une société de services spécialisés (sous-traitant). Le présent article résume une étude récente (Bergeaud et al., 2021) menée à la Banque de France sur le rôle du changement technologique dans le processus d’externalisation. Les auteurs étudient l’effet de l’accès à l’Internet haut débit en France entre 1999 et 2007 sur l’organisation du travail dans les entreprises, et sur les travailleurs. Ils concluent que ce choc technologique a déclenché une réorganisation des entreprises et participé à l’essor de l’externalisation. Pour les travailleurs directement affectés par ce processus d’externalisation, l’impact sur les salaires dépend de leur niveau de qualification technique.
La démarche d’externalisation consiste, pour une entreprise, à se séparer d’une activité réalisée jusque‑là en interne et à faire appel à un prestataire externe spécialisé. C’est notamment le cas pour des activités considérées comme périphériques et qui sont confiées à des partenaires (sous‑traitants) offrant des prestations similaires avec une plus grande flexibilité. Les activités traditionnellement concernées correspondent aux fonctions support, aussi diverses que l’informatique, les ressources humaines, la comptabilité, le marketing, la communication, le gardiennage ou le nettoyage. L’entreprise peut ainsi se restructurer et se centrer sur ses compétences de base : son « coeur de métier », les activités directement concernées par son processus de production.
Des travaux académiques récents menés sur des entreprises européennes soulignent le développement de la fragmentation de l’organisation du travail en Europe. En France, Le Moigne (2020) montre que les fonctions support sont de moins en moins opérées en interne et se trouvent souvent confiées à des prestataires externes, ce qui suggère de fortes réorganisations au sein des entreprises. Au Royaume‑Uni, Aghion et al. (2019) mettent en évidence un lien entre le recours à la sous‑traitance d’activités, telles que le ménage et la sécurité, et la productivité des entreprises. Enfin, Goldschmidt et Schmieder (2017) analysent le processus de fragmentation de l’organisation du travail en Allemagne, où les entreprises recourent de plus en plus à des sociétés de services, des agences d’intérim et des prestataires extérieurs plutôt que d’embaucher des employés.
Un des déterminants de ce processus de fragmentation dans le monde du travail pourrait être le changement technologique (Weil, 2017) : les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent en effet de nombreuses possibilités pour coordonner et contrôler le travail dans et en dehors de l’entreprise. Nous présentons ici les résultats d’un article récent (Bergeaud et al., 2021), dans lequel les auteurs testent cette hypothèse en étudiant l’effet d’un changement technologique sur la décision d’externalisation, ainsi que les conséquences pour les travailleurs. Ils mobilisent pour cela un choc technologique de grande ampleur : le déploiement progressif de l’Internet haut débit (par ADSL) en France, de 1999 à 2007.
Un choc technologique : le développement de l’ADSL en France
France Télécom effectue en 1999 le lancement commercial de l’ADSL. Cette technologie permet d’utiliser le réseau téléphonique préexistant pour transmettre des données numériques. Sa diffusion a été très progressive : les grands centres urbains furent équipés dès le début des années 2000, tandis que les zones rurales et reculées n’en bénéficièrent que dix ans plus tard (cf. graphique 1).
Mis à jour le : 24/02/2022 11:35