Le Bulletin de la Banque de France n°234 : Article 6 Actif sûr européen : nouvelles perspectives

Un véritable actif sûr européen présenterait plusieurs avantages pour la stabilité financière et l’intégration européenne et faciliterait le financement des politiques publiques en réduisant les coûts d’emprunt. De nombreuses propositions visent à créer un actif sûr européen, souvent adossé aux dettes souveraines nationales. Ces propositions sont complexes à mettre en oeuvre : outre les enjeux politiques, des contraintes légales compliquent leur adoption, et les déterminants du coût d’emprunt associé demeurent incertains. Les mesures de l’Union européenne face à la crise Covid-19 favorisent l’émergence d’une offre nouvelle de dette supranationale pour aider les États membres à répondre aux défis posés par la crise sanitaire, mais aussi par le réchauffement climatique ou la transition technologique. Si cette offre nouvelle d’actifs sûrs est temporaire et encore limitée par rapport à d’autres zones monétaires, elle constitue néanmoins une étape importante pour le paysage obligataire européen par son effet de masse critique réduisant le risque de liquidité.

1 Le débat sur la création d’un actif sûr européen est de longue date soumis à de fortes contraintes

Des actifs sûrs encore principalement constitués de dettes nationales en Europe

Alors que les États-Unis disposent de titres du Trésor, considérés universellement comme un actif sûr et liquide, il n’en est pas de même dans la zone euro. Un tel actif émis au niveau supranational présenterait pourtant un certain nombre d’avantages pour la stabilité et l’intégration financières (cf. les travaux du groupe de travail de haut niveau du Comité européen du risque systémique [2018] présidé par Philip Lane, à l’époque gouverneur de la Banque centrale d’Irlande). Si la création des États-Unis d’Amérique s’est accompagnée d’une mutualisation des dettes des États fédérés sous l’impulsion du secrétaire au Trésor, Alexander Hamilton, en 1790, la construction européenne a suivi une autre voie. Le traité de Maastricht (1992), en créant l’Union économique et monétaire (UEM), prévoit uniquement une coordination étroite des politiques budgétaires nationales. Il proscrit toute mutualisation des dettes existantes et ne conçoit pas de capacité fiscale significative, ni de capacité d’emprunt commune. De fait, la majorité des actifs sûrs européens actuels est constituée des dettes souveraines nationales les mieux notées, comme le Bund allemand ou l’obligation assimilable du Trésor (OAT) française. La qualité d’actif sûr est liée à la perception d’une absence de risque de crédit. Dans cette perspective, une dette est considérée comme sûre si elle est émise ou garantie par un État qui est lui-même jugé « sûr », de telle sorte qu’aux yeux des investisseurs le remboursement paraisse certain (Golec et Perotti, 2017). Toutefois, il existe une ambiguïté sur la notion d’actif sûr, qui peut être plus marquée dans une union monétaire car, d’après la réglementation sur les exigences de fonds propres de l’Union européenne – et les normes de Bâle –, les expositions sur les administrations centrales des États membres exprimées et financées en monnaie domestique peuvent être exemptées d’exigences de fonds propres, quel que soit le risque sous-jacent.

Dans le sillage de la crise de 2008, la crise des dettes souveraines ayant touché la zone euro en 2010 a toutefois mis en lumière la fragilité inhérente de la construction européenne à cet égard. L’absence d’un véritable actif sûr européen a été patente lors des attaques spéculatives des marchés financiers contre les titres des États les plus fragilisés.
 

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Le Bulletin de la Banque de France n°234 : Actif sûr européen : nouvelles perspectives
  • Publié le 27/04/2021
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Économie et financements internationaux

Mis à jour le : 27/04/2021 10:05